Dumont d'Urville, le dernier des "marins-savants" par Huaras GAUTHEY sous la direction du professeur Ladislas Mysyrowicz Table des matières Introduction 1. L'arrière-plan des voyages de découvertes 1.1 Les développements techniques 1.2 L'apogée de la voile 1.3 Le statut international de l'explorateur 1.4 La rivalité politique, missionnaire et commerciale 1.4.1 La seconde moitié du XVIIIe siècle 1.4.2 La première moitié du XIXe siècle 1.5 Le climat intellectuel 1.5.1 Avant 1800 1.5.2 Après 1800 1.6 Bref aperçu des explorateurs principaux précédant Dumont d'Urville 1.6.1 Wallis et Carteret 1.6.2 Bougainville 1.6.3 Cook 1.6.4 La Pérouse 1.6.5 D'Entrecasteaux 1.6.6 Baudin 1.6.7 Freycinet 2. Portrait de Dumont d'Urville 2.1 Ses tendances politiques 2.2 Son complexe de supériorité 2.3 Son apparence physique 2.4 Son bon fond 2.5 L'hygiène et la santé 2.6 Sa morale 2.7 Sa fermeté 3. Premiers embarquements de Dumont d'Urville 3.1 La campagne hydrographique de la Chevrette 1819-1820 3.2 Le tour du monde de la Coquille 1822-1825 4. Premier commandement de Dumont d'Urville : le voyage de l'Astrolabe 1826-1829 4.1 Buts du voyage 4.2 La Coquille-Astrolabe 4.3 Les instruments de mesure de l'expédition 4.4 Les résultats du voyage 4.4.1 La division classique de l'Océanie 4.4.2 La nomenclature autochtone des lieux 4.4.3 Les mesures de température 4.5 Conclusion du voyage 5. Second commandement de Dumont d'Urville : le voyage de l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840 5.1 La genèse de l'expédition au pôle Sud et dans l'Océanie 5.2 Contestation de l'expédition 5.3 Au pôle Sud 5.4 Résultats de l'exploration en Artarctique 6. Les collections d'histoire naturelle 6.1 Les résultats 6.2 La phrénologie de Dumoutier 6.3 Les dessins scientifiques des expéditions 6.4 Les dessins de la vie quotidienne 6.5 La publication 7. Les voyages de Dumont d'Urville 7.1 Science ou "sport" ? 7.2 La postérité Conclusion Annexes Bibliographie E-mail: Ladislas.mysyrowicz@unige.lettres.ch "Faire le tour entier du globe que nous habitons, en parcourir les diverses contrées, visiter les différentes races d'hommes qui l'occupent, et contempler successivement les scènes variées que la nature, dans ses trois règnes, y ménage aux yeux de l'observateur, qui de nous, au moins une fois en sa vie, n'a été ému à cette idée et n'a souhaité avoir un navire à ses ordres pour se procurer ces jouissances ?" J.S.C. Dumont d'Urville Introduction Héritier du siècle des Lumières, Dumont d'Urville conserve maints aspects communs avec la longue lignée d'hommes composant la "marine-savante" qui naît au XVIIIe siècle. Esprit universel en pleine Révolution industrielle française, ce Normand de caractère marque de son empreinte le développement scientifique qui s'opère durant cette période en pleine mutation technologique et politique. Grâce aux expéditions officielles initiées par d'Urville, l'Europe réussit à résoudre une partie des interrogations qui subsistent dans des domaines aussi variés que l'histoire naturelle ou le géomagnétisme. De plus, la prise de conscience de la richesse des caractères somatiques et sociaux des insulaires du Pacifique, permet au navigateur de poser les premiers jalons de nouvelles disciplines en sciences humaines, telle que l'ethnographie et la linguistique comparée. L'universalité des domaines étudiée par Dumont d'Urville et ses équipages ne doit pourtant pas faire oublier l'accélération qui s'opère dans les sciences au début du XIXe siècle. Les premières expéditions de l'explorateur s'effectuent dans un contexte de renouveau intellectuel grâce au pacifisme de la Restauration et les développements scientifiques sont tels, que la nature même des recherches savantes au milieu du siècle passé condamne définitivement la duplication de campagnes polyvalentes semblables à celles embrassant la période allant de Cook à Dumont d'Urville. Aux recherches pluridisciplinaires de la "marine-savante" entre 1750 et 1850, se substituent alors des expéditions pointues, menées dans des contrées connues, où tout aléa concernant le voyage lui-même est écarté. La science, nécessitant désormais une spécialisation ne souffrant aucun aventurisme, donne naissance à des voyages scientifiques exempts, en grande partie, des dangers qui caractérisent les expéditions précédentes. La spécialisation des missions officielles de découvertes ne s'effectue pourtant pas du jour au lendemain. Grâce aux développements de la connaissance géographique du Pacifique, les instructions données aux chefs d'expéditions limitent leurs champs d'étude. Avec le perfectionnement des cartes marines, les explorateurs se transforment petit à petit en scientifiques chargés de mesures précises à effectuer ou de spécimens particuliers à rapporter et se distancent ainsi de leurs prédécesseurs par l'étendue des activités accomplies. A cet égard, le dualisme des campagnes de Dumont d'Urville le situe précisément entre passé et avenir. D'un côté l'importance des collections d'histoire naturelle rapportées par le navigateur s'inscrivent en droite ligne dans la tradition des "marins-savants" du XVIIIe siècle. D'un autre côté, la carte du Pacifique atteint une telle perfection vers 1800, que seuls quelques archipels méconnus et d'intérêt secondaire méritent encore l'envoi d'un voyage d'explorations. Certes, la découverte de la terre Adélie durant le second commandement de d'Urville constitue un apport considérable pour la connaissance géographique de notre planète. Toutefois, bien que le relevé hydrographique d'une portion de côtes d'un continent relativement nouveau frappe l'imagination et rehausse le prestige de la nation commanditaire, il n'est d'aucune utilité s'il s'agit d'un continent glacé perdu dans les brumes et les tempêtes du Grand Sud. Néanmoins, la découverte de la terre Adélie par d'Urville souligne l'appartenance de ce dernier à la grande famille des "marins-savants" qui naît de la rivalité franco-anglaise du XVIIIe siècle et des succès du capitaine Cook. Dans un premier temps, il nous sera nécessaire de mettre l'accent sur les progrès techniques permettant l'envoi d'expéditions scientifiques au long cours dans le courant du siècle des Lumières. Le développement d'une méthode capable de mesurer la longitude d'une position, couplé aux perfectionnements apportés dans la construction navale, donnent aux Occidentaux la possibilité pratique de répondre aux interrogations scientifiques du moment. Une fois ces améliorations techniques permettant le développement de la "marine-savante" présentées, nous passerons en revue les principaux prédécesseurs de d'Urville, en insistant sur les évolutions sensibles au sein de cette activité entre 1750 et 1850. Ensuite, en nous arrêtant plus longuement sur Dumont d'Urville, nous tenterons de brosser le portrait de ce grand navigateur afin de faire apparaître la richesse du personnage. Bien que ses sensibilités politiques soient trop floues pour ne pas être taxées d'opportunisme, son caractère ne laisse en revanche aucun doute quant à ses capacités de chef d'expédition et de scientifique. La fermeté et rigueur avec laquelle il traite ses équipages, si elle semble en contradiction avec le peu de soin qu'il voue à sa personne, laisse entrevoir une grande sensibilité et un besoin inextinguible d'être apprécié de ses hommes. Les premiers embarquements de l'explorateur feront l'objet d'un chapitre particulier. Partie intégrante de l'apprentissage du métier de marin, ces premières campagnes scellent la vocation du navigateur en lui permettant d'utiliser ses connaissances extra-maritimes. La présentation de la découverte de la Vénus de Milo, laissera entrevoir les possibilités offertes par la marine à un homme aussi curieux et capable que Dumont d'Urville. En ce qui concerne le premier commandement du navigateur, celui de l'Astrolabe effectué entre 1826 et 1829, il nécessitera une attention spéciale. En effet, s'il permet de ramener en France des débris de l'expédition malheureuse de La Pérouse, les résultats scientifiques du voyage sont loin d'être négligeables. Que ce soit les mesures de température effectuées à diverses profondeurs, la nomenclature autochtone des lieux préférée par le chef d'expédition à une dénomination occidentaliste ou la division classique de l'Océanie, chaque domaine complète admirablement les collections d'histoire naturelle transportées jusqu'au Muséum de Paris. La période suivante, vouée presque exclusivement à la publication de la relation du voyage, ne retiendra que peu notre attention. Malgré l'intérêt que les sociétés savantes consacrent à d'Urville, ce dernier ne saurait se suffire d'une vie sédentaire loin du Pacifique, son lieu de prédilection. C'est la raison pour laquelle, en étudiant l'expédition de 1837-1840, nous mettrons l'accent sur l'attrait qu'exerce cette région sur l'explorateur. Sans tenir compte de la protestation qui s'élève contre son projet et malgré les changements d'itinéraires désirés par Louis-Philippe en personne, d'Urville clôturera par cette expédition la série des grands voyages inaugurés dès la fin de la Guerre de Sept ans. Ensuite, sans vouloir remettre en question l'apport scientifique des voyages de Dumont d'Urville, nous tenterons, au-delà des motifs officiels des expéditions au long cours, de mettre en relief les motivations profondes du navigateur. Comme nous le verrons, le caractère "sportif" de ces voyages préfigure les exploits physiques et gratuits de notre époque. Dès lors, grâce à la présentation de certains aspects de la seconde expédition, la rupture créée par d'Urville avec la traditionnelle "marine-savante" deviendra évidente. Enfin, l'importance des collections d'histoire naturelle ramenées en France par Dumont d'Urville sera l'objet de notre dernier chapitre. Certes, il ne sera possible que de survoler rapidement cet océan de spécimens et de descriptions; la masse de ces travaux ne permettant pas une étude approfondie dans une monographie d'envergure limitée comme celle-ci. C'est la raison pour laquelle, en exposant quelques exemples représentatifs, nous nous bornerons à mettre en évidence la richesse des travaux effectués lors des passages de d'Urville dans le Grand Océan. Pour notre travail, nous avons eu recours aux publications de Dumont d'Urville disponibles à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève. Consistant principalement en dons du gouvernement français, le fonds d'Urville de cette institution est important, sans pour autant être complet. Une quarantaine de volumes concernant les relations du premier et du second voyage forment la part la plus importante de cette masse imposante de documents. En complément des publications officielles du navigateur contenant les descriptions scientifiques, les deux éditions d'un ouvrage en trois volumes représentant un résumé des éléments intéressants rencontrés par le navigateur, complètent les sources disponibles à Genève. Le nombre élevé de documents sur les voyages ne doit pourtant pas faire oublier qu'il s'agit de publications scientifiques officielles et que par conséquent, les descriptions d'objets récoltés concernant diverses disciplines forment la plus grande partie du fonds disponible. De plus, la dizaine d'atlas de format in-folio contenant les descriptions picturales et les cartes marines des expéditions complète admirablement et met en valeur les textes du navigateur. Toutefois, si la pléthore de documents concernant les voyages de d'Urville constitue une mine d'informations de première importance, le nombre des travaux d'historiens sur le sujet reste limité. Mis à part les éloges funèbres rédigées à la suite du décès de l'explorateur, seuls deux ouvrages sur d'Urville paraissent au XXe siècle à notre connaissance. Fort heureusement, une thèse présentée en 1986 à l'Université de Provence sur le second voyage de Dumont d'Urville permet de donner un éclairage nouveau sur les activités du voyageur. Cependant, malgré cet apport capital pour la compréhension du déroulement d'une exploration importante pour le développement de la géographie, l'étude de l'ensemble des travaux de d'Urville reste à faire. Certes, de nombreux livres sur les grands navigateurs existent et font mention de Dumont d'Urville, mais tous ne peuvent rester que superficiels à cause du manque d'études approfondies concernant l'un des plus grands explorateurs français. En 1840, la Marine française achève sa reconnaissance générale de l'Océanie. Désormais, les études poussées dans le détail vont succéder aux grands voyages de découvertes et leur structure, parfaitement rigoureuse, en éliminera tout aspect aventureux. Le danger, l'inconnu et l'aventure seront absents des voyages scientifiques après d'Urville. Certes, il y aura encore des peuples à découvrir et des paysages à décrire, mais l'imprévu n'aura plus sa place dans cet univers constitué d'endroits répertoriés à l'avance. De fait, cette passionnante aventure humaine qu'a été la découverte progressive du plus vaste océan, semble se terminer avec la rentrée de l'Astrolabe et de la Zélée en rade de Toulon le 6 novembre 1840. Constituant un des épisodes les plus féconds de l'histoire moderne, toutes les expéditions qui sillonnent les mers depuis 1750 en entretenant des rapports parfois fructueux, souvent difficiles avec les insulaires du Pacifique, représentent un puissant vecteur de civilisation. Toutefois, l'activité des Européens en Océanie après 1840 prend une forme qui n'est plus celle de la recherche désintéressée. Les visées économiques et politiques se font jour, en accord avec les Marines nationales qui ont déjà commencé à intervenir pour protéger les intérêts commerciaux, politiques ou missionnaires. Dès lors, étant donné que la colonisation et le développement économique prennent le pas sur la science, se pourrait-il que Dumont d'Urville soit, à cheval entre deux mondes, le dernier représentant de la lignée des "marins-savants" ? Chapitre 1.0 L'arrière-plan des voyages de découvertes 1.1 Les développements techniques Les voyages au long cours ne peuvent être appréhendés qu'à l'intérieur d'un domaine plus vaste : celui de la navigation maritime. En effet, par étapes très lentes au fil des siècles s'édifie une théorie et une pratique qui constituent ce que l'on appelle l'art de la navigation. La dose d'habileté personnelle nécessaire pour diriger un navire et l'expérience indispensable pour la conduite d'un voyage au long cours contribue à distancer la navigation d'une science véritable; tout au moins durant la période qui précède le milieu du XIXe siècle, date à laquelle, les voyages de découvertes se multiplient. Héritier des siècles précédents, d'Urville garde encore une place prépondérante dans l'établissement de sa position en mer. Incapable de se reposer entièrement sur ses équipements[1], il est constamment sollicité pour intervenir sur ceux-ci avec l'aide de son jugement ou de son intuition. L'homme est encore au début du XIXe siècle, non pas l'esclave des moyens techniques nouvellement découverts, mais la pièce principale de "l'équipement" d'un navire. Certes, la boussole constitue un élément important d'un navire mais elle ne saurait résoudre tous les problèmes de navigation en haute mer. La redécouverte au XIe siècle grâce à la traduction d'écrits arabes de l'astrolabe de Ptolémée[2], ou "preneur d'étoile", dote le monde latin d'un instrument capable de mesurer la hauteur en degré d'un astre, permettant en mesurant l'angle d'un corps céleste par rapport à l'horizon de définir la latitude d'une position. Cependant, malgré la boussole et l'astrolabe, la navigation ne peut que rester un art d'une grande imprécision sans la découverte d'une cartographie acceptable. En effet, l'établissement d'un point précis n'a d'importance que si celui-ci peut être reporté sur une carte possédant les mêmes qualités. C'est à Gérard Mercator que revient l'honneur d'inventer au milieu du XVIe siècle une projection qui porte son nom. En traçant des latitudes croissantes, c'est-à-dire un accroissement de l'écartement entre les parallèles en fonction des latitudes les angles et les distances sont conservés[3]. Ce procédé permet de représenter la route suivie par une droite et de mesurer ainsi facilement les distances. Grâce au célèbre géographe du XVIe siècle, les positions faites en mer peuvent enfin être reportées sur une carte en accord avec les observations[4]. Cependant, pour s'affranchir des erreurs d'un art de la navigation fait d'imprécision et d'aléas divers et permettre à Dumont d'Urville de posséder une technique maritime adaptée à son ambition, il restait à l'homme à développer un moyen pour calculer les longitudes. L'apparition des chronomètres de marine au XVIIIe siècle fait sauter le dernier verrou freinant le développement des voyages au long cours. Jamais peut-être dans l'histoire des sciences, on avait attendu autant d'un petit instrument de mesure pour résoudre un problème aussi vaste. Les développements de Ferdinand Berthoud et de l'Anglais Harrison mettent fin à la technique pluri-séculaire de l'estime grâce à la possibilité de conserver à bord l'heure du méridien de départ. Si pour la navigation l'estime était une source de pertes de temps et de naufrages, pour la géographie elle signifiait le tracé incertain des côtes, des terres introuvables et des îles imaginaires multipliées sur les cartes par des explorateurs incapables de positionner précisément les découvertes antérieures de leurs concurrents. Certes, les études de la déviation magnétique pouvaient améliorer les résultats de l'estime et la précision de la navigation mais celle-ci conservera toujours une nature aléatoire à cause des courants marins et de la dérive due au vent. Alors que la méthode astronomique pour déterminer une position est au point depuis deux siècles, l'étude des astres à partir du pont d'un navire reste bien délicate. Le développement des techniques au milieu du XVIIIe siècle, réduit le problème des longitudes à une simple question d'horlogerie. Bien que le développement d'une méthode astronomique capable de parvenir à un résultat utilisable durant les voyages ait également eu ses partisans, dont le moins négligeable était Newton, c'est du côté d'artistes-mécaniciens que la surprise parvient[5]. La contemporanéité des découvertes tant en Angleterre qu'en France s'explique par le fait d'efforts conjugués des deux côtés de la Manche dans une véritable course à la précision qui s'engage dans la première moitié du siècle. En Angleterre, John Harrison crée en 1749 une pendule d'une précision jusqu'alors inégalée et ses compatriotes Thomas Earnshaw et John Arnold ne demeurent pas en reste. En ce qui concerne les horlogers français, c'est à Ferdinand Berthoud que revient l'honneur d'avoir créé en premier une horloge répondant aux critères de précision et de fiabilité exigés par la Marine. Celui-ci est nommé Horloger-Mécanicien de Sa Majesté et de la Marine[6] en 1772 et éclipse de facto son concurrent moins chanceux, Pierre Leroy, dont les machines n'ont rien à envier à celles de son rival, puisque dotées des trois mécanismes fondamentaux des chronomètres modernes : l'échappement libre, le spiral isochrone et le balancier compensé. Vouées essentiellement à l'expérimentation, les horloges des artisans de cette génération sont de grandes dimensions, fragiles et impossibles à reproduire systématiquement pour les besoins de la marine. Le premier utilisateur de ces "gardes-temps", Cook, observe des règles strictes quant à l'utilisation de ces nouveautés. Seul l'officier chargé des chronomètres peut s'approcher des horloges pour les remonter une fois par jour. De plus, placées au centre du navire où les mouvements se font le moins sentir, des barrières les protègent contre tout choc intempestif qui ne manquerait par de les dérégler, voir de les arrêter pour de bon. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et les perfectionnements apportés par Louis Berthoud pour posséder des instruments précis, d'un encombrement réduit, d'un prix abordable et susceptibles d'être fabriquées en petites séries. Cependant, la fiabilité reste précaire et d'Entrecasteaux qui part en 1791 à la recherche de La Pérouse en emportant à son bord deux horloges de marine doit, lors de son escale au Cap, "... remplacer une montre de Louis Berthoud que j'étois obligé de renvoyer en France, parce qu'elle avoit souffert dans le transport de Paris à Brest et qu'elle s'étoit arrêtée."[7]. Comme nous le verrons, de pareilles mésaventures attendent également Dumont d'Urville puisque deux des quatre horloges qu'il embarque lors de son premier commandement s'arrêtent en cours d'expédition. Malgré ces faiblesses mécaniques, la première moitié du XIXe siècle est la période ou se joignent deux méthodes de navigation différentes et complémentaires. D'un côté l'art de la navigation basé sur une solide tradition pluriséculaire, de l'autre la "science" maritime qui devient chaque année plus prépondérante grâce à une exactitude affinée au gré des progrès techniques rendus possibles par la Révolution industrielle en pleine expansion en Europe occidentale. De surcroît, chaque expédition en partance pour le Pacifique depuis l'expédition de Bougainville de 1766 emporte à son bord une véritable bibliothèque de cartes et de documents nautiques sans cesse remis à jour ou complétés par de nouvelles observations. C'est la raison pour laquelle le Pacifique de d'Urville cesse d'être un océan aux contours inconnus où les voyageurs se dirigent d'après l'empirisme et le secret des pilotes ou bien les dires - parfois étonnamment précis d'ailleurs - d'informateurs indigènes[8]. Désormais, malgré des communications encore lentes et difficiles[9], la possibilité de connaître avec une exactitude suffisante sa position en haute mer, couplée à la multiplication des points de relâche tels qu'Acapulco, Callao, Manille, Singapour, Batavia[10] ou Sydney, les voyages au long cours s'opèrent sur une base totalement différente de ceux effectués avant les développements techniques des siècles précédents. 1.2 L'apogée de la voile Les Grandes Découvertes donnent ses lettres de noblesse à la voile sans pourtant arrêter l'évolution dans le domaine de la construction navale. Pourtant, bien que les navires du XVIe siècle constituent une percée notoire en considération de leurs prédécesseurs, ils restent de faible tonnage jusqu'à la moitié du XVIIIe siècle. Magellan circumnavigue le monde à bord de bateaux de soixante et cent trente tonneaux seulement[11]. Ceux-ci, surchargés de "viande sur pieds", ressemblent plus à des cours de ferme qu'à de fiers voiliers. Malgré les précautions faites d'emmener autant d'animaux comestibles que le permet la capacité de transport des navires, les disettes sont fréquentes; la longueur imprévue des traversées, le hasard qui fait manquer les escales perdues dans l'immensité océane, la conservation défectueuse et la mauvaise qualité des aliments en sont les causes. La promiscuité entre hommes et animaux sur le pont d'un navire gène les manoeuvres et n'est pas de nature à rendre salubre la vie des marins. La médecine navale et l'hygiène étant encore dans l'enfance, la mortalité par le scorbut ou autres maladies reste très élevée. Enfin, à cause de la petite taille de ces bateaux toujours surchargés, les fonctions de naturaliste et d'historiographe sont souvent ajoutées à celle de l'aumônier du bord. Vers le milieu du XVIIIe siècle, le climat change incontestablement. Les navires des expéditions officielles, financés par les gouvernements, sont d'un tonnage plus important. Robustes et plus spacieux malgré la disparition des volumineux châteaux arrières, ils marchent bien à toutes les allures et les constructeurs s'ingénient à limiter au minimum le tirant d'eau de leurs unités. L'architecture navale se fait moins décorative et plus fonctionnelle. Les décorations et dorures, qui naguère surchargeaient les bateaux, deviennent plus discrètes. Désormais, la construction navale devient un art qui répond à des critères scientifiques et Pierre-Jacques Charliat, dans son ouvrage Le temps des grands voiliers, considère que la voile atteint son apogée entre 1750 et 1850. Le bois utilisé pour les coques est longuement préparé dans des bains de saumure avant son utilisation et l'assemblage est perfectionné grâce à des liaisons plus précises accroissant la solidité de l'ensemble. L'aspect extérieur change de manière drastique et outre la quasi-disparition des châteaux arrières, la courbure des ponts diminue radicalement. L'amélioration la plus notable concerne le gréement. Désormais, les navires sont gréés en trois mâts carrés; chacun des deux mâts principaux portant trois voiles carrées étagées surmontées d'une quatrième vers la fin du XVIIIe siècle : le cacatois. Le mât d'artimon reçoit une grande voile trapézoïdale, l'artimon que dominent également deux ou trois voiles carrées. En ce qui concerne le beaupré, l'évolution des gréements voit apparaître les premiers focs triangulaires facilitant la remontée au vent. A l'accroissement des possibilités d'évolution dues aux progrès des coques et des gréements, se couple un développement du tonnage des navires. Au XVIIIe siècle, à côté du vaisseau de ligne qui constitue l'élément principal du corps de bataille des marines de guerre armé de nombreux canons disposés sur plusieurs rangées, les marines occidentales sont équipées de frégates et de corvettes, moins armées mais plus manoeuvrantes, assurant les missions de reconnaissances et d'actions contre les navires de commerce. Ce sont ces navires, développés à partir de simples gabares de transport qui permettent aux explorateurs européens entre 1750 et 1850 de terminer de dessiner la carte des océans de la planète. Grâce au tonnage en hausse, de la place se trouve ainsi créée pour les installations scientifiques et les savants qui s'empressent de participer à ces grandes expéditions. Avec Bougainville le personnel savant reste encore limité mais La Pérouse part en 1785 avec une véritable académie flottante. Jardiniers, botanistes, techniciens et astronomes font partie intégrante du personnel, non sans créer les premières tensions. Entre les savants cherchant à prolonger les escales et les officiers chargés d'assurer la sécurité du navire, les conflits sont inévitables. Les oppositions de caractères aggravent les frictions et un chef aussi compréhensif que La Pérouse laisse apparaître sa mauvaise humeur : "Ces soi-disants savants sont des êtres diaboliques qui excèdent furieusement ma patience"[12]. Les querelles politiques et personnelles après 1789 gonflent à un tel point lors du voyage de d'Entrecasteaux en 1791 [13] et celui de Baudin quelques années plus tard, que la pratique d'adjoindre des scientifiques aux expéditions est généralement abandonnée par la suite en faveur d'officiers de marine ayant des qualités scientifiques spéciales mais dont la formation donne l'assurance qu'ils se consacreront d'abord à la navigation. Dumont d'Urville, botaniste amateur et helléniste de coeur, constitue à cet égard l'exemple le plus illustratif de cette évolution. En parallèle des progrès effectués dans la marine, se répand dans la première moitié du XIXe siècle une invention vouée à reprendre le flambeau après cinq mille ans de navigation à voile : la vapeur. Bien que les premiers essais de navires à propulsion mécanique se déroulent aussitôt après les perfectionnements apportés par Watt à la machine à vapeur, ce n'est qu'en 1807 que le Clermont[14] inaugure entre New-York et Albany le premier service régulier. Dès lors, les progrès sont rapides dans ce domaine où la régularité est une donnée prépondérante du transport de passagers. Face à l'accroissement du nombre d'unités en service, des progrès sensibles sont apportés également à l'autonomie des navires. Toutefois, les vapeurs restent cantonnés dans les rivières et les estuaires à cause de leur grande consommation de charbon et des difficultés de ravitaillement. Ce n'est qu'en 1816 que la Manche est vaincue par la force mécanique, suivie de l'Atlantique trois ans plus tard. La vapeur conquiérant lentement les étendues océanes, le voilier reste le maître des mers. D'un côté, la grande consommation de combustible des nouveaux navires impose des haltes fréquentes de ravitaillement qui interdisent les grandes traversées océaniques. De l'autre, les marines militaires ne sont pas intéressées par l'utilisation de navires mus par de gigantesques roues à aubes, jugées trop vulnérables en situation de combat. Enfin, il est vrai que la machine à vapeur est issue de la Révolution industrielle et non de la tradition maritime et que la méfiance des marins militaires envers cette création de terriens n'est pas favorable à sa rapide acceptation au sein d'un milieu où la solidité et la fiabilité sont deux critères fondamentaux. De facto si les premières traversées commerciales de passagers entre l'Europe et l'Amérique du nord s'établissent dès 1836, il faut attendre le milieu du siècle pour voir la vapeur effectuer une percée définitive. Lorsque d'Urville part pour son premier voyage dans le Pacifique, les navires à propulsion mécanique sont encore rares et restent dans les eaux intérieures pour la plupart. Dans le chapitre consacré aux dessins rapportés par les peintres du voyage de l'Astrolabe, nous mettrons en évidence la nette prépondérance de la voile sur la vapeur à cette période, en présentant une esquisse du port du Hobart en 1840 sur laquelle figure un seul bâtiment à propulsion mécanique, parmi une forêt de mâts. En fait, pour que la vapeur acquiert ses lettres de noblesse, il faut attendre l'invention de l'hélice ainsi que de la construction navale métallique à grande échelle. Dès lors, grâce aux succès militaires remportés par les premiers vaisseaux libérés de la contrainte des vents[15], les marines militaires se modernisent au détriment de la voile. La seconde moitié du XIXe siècle sonne le glas de la marine traditionnelle à cause des guerres de Crimée et de Sécession qui rendent obsolètes les vaisseaux en bois en inaugurant l'ère du cuirassé. La trop fameuse confrontation entre les navires Monitor et Merrimac au cours de la guerre américaine, signale de manière explosive la fin d'une époque et le début d'une autre tournée résolument vers l'acier et la mécanique[16]. En ce qui concerne le ravitaillement en charbon, l'odyssée du CSS Alabama[17] à travers le monde lors de la Guerre de Sécession prouve que les stations maritimes sont suffisamment nombreuses et équipées pour ce nouveau mode de propulsion à partir de 1865 et que rien désormais ne peut plus freiner le développement des navires à vapeur. Certes les flûtes, bricks ou autres clippers de cette période forment un ensemble de bâtiments rapides qui rivaliseront jusqu'à la fin du siècle avec leurs concurrents mécaniques. Toutefois, l'ouverture du canal de Suez en 1869 nécessite l'utilisation de la vapeur et porte un coup mortel au transport de fret par les navires à voile, diminuant de manière drastique les délais d'acheminement des marchandises par cette nouvelle voie. Dumont d'Urville, embarqué autour du monde sur des frégates, fait partie de la dernière génération de marins entièrement vouée au dieu Eole. Si de nombreux panaches de fumée s'élèvent déjà dans les eaux intérieures, la vapeur reste encore cantonnée loin des océans, incapable d'effectuer encore de longues traversées. Si l'on excepte le critère de la vitesse qui ne semble représenter que la réaction d'une technique luttant pour sa survie contre une autre la remplaçant irrémédiablement, l'acmé de la voile se situe bien entre 1750 et 1850. C'est à cette période, nous semble-t-il, que le génie de l'homme couplé à une force de la nature, a produit un des plus beaux exemples d'utilitarisme que les voyageurs occidentaux - de Cook à Dumont d'Urville - ont su tirer parti pour le plus grand bonheur de l'humanité. 1.3 Le statut international de l'explorateur Concomitamment à l'apogée de la voile, se produit entre les Puissances européennes un phénomène intéressant : la reconnaissance d'un statut particulier pour les explorateurs. Les Grandes Découvertes des XVe et XVIe siècles, effectuées en secret par des expéditions entreprises pour le compte d'un seul Etat rival des autres, sont bien loin de la réalité du siècle des Lumières. En effet, la modernité qui s'impose au XVIIIe siècle présente l'ébauche d'un état de fait qui nous est familier. L'accroissement des sociétés savantes dans les pays occidentaux stimule une soif de connaissances que n'arrêtent pas les frontières[18]. Les souverains, fréquemment éclairés eux-mêmes, sont les pivots d'un système qui permet l'armement de voyages à but principalement scientifique. Il est vrai que ces expéditions onéreuses, sans profit immédiat mais susceptibles d'être utiles à long terme à l'ensemble du genre humain, ne peuvent voir le jour qu'avec l'aide des ressources des Etats [19]. Les voyages au long cours basés sur l'aide étatique et la soif de connaissances, constituent en quelque sorte les symptômes d'un phénomène général en Occident : l'existence d'un climat international propice aux découvertes. L'émulation philosophique du siècle des Lumières nécessite des sujets nouveaux de discussion et l'arrivée en France du Tahitien Aotourou ainsi que des nombreuses caisses contenant les collections de l'expédition Baudin, offre à la société "à la mode" d'amples matériaux. L'intérêt grandissant pour des discussions exemptes de transcendance, manifesté également par la multiplication des sociétés de lecture, cautionne l'élaboration tacite d'un statut international de neutralité pour les explorateurs. Grâce à la multiplication des voyages au XVIIIe siècle rendue possible par les progrès de la construction navale, les récits de voyages deviennent pléthorique malgré la parodie de ce genre d'ouvrages par de grands écrivains [20]. Chaque explorateur part avec une véritable bibliothèque contenant la plupart des récits de voyages des prédécesseurs afin de vérifier in situ le degré d'exactitude des informations récoltées et de les corriger. Cette internationalisation des informations pour le bien de tous, permet aux voyages au long cours d'obtenir un prestige auprès des gouvernements leur garantissant une neutralité, un libre-passage ou du secours dans le cas où ceux-ci se trouveraient en difficulté. C'est donc la reconnaissance de l'intérêt d'ordre général des récits et collections rapportées, qui établit la coutume de considérer comme neutres les expéditions scientifiques officielles après les instructions du Secrétaire d'Etat Sartine au sujet de Cook [21]. De plus, il ne faut pas oublier que la grande distance séparant le Pacifique des ports d'attache de la vieille Europe stimule la fraternité entre les hommes malgré les frictions entre nations occidentales. La Pérouse, rencontrant une escadre anglaise à Botany Bay [22] en 1788, considère que "Des Européens sont tous compatriotes à cette distance de leur pays" [23]. Quant aux problèmes de d'Entrecasteaux à son arrivée aux Moluques hollandaises au moment où la France déclarait la guerre à l'absolutisme et à la féodalité [24], ils ne résistent pas longtemps devant l'exposition des buts de l'expédition par de Trobriand, diplomate du bord, aux autorités de la colonie. Celles-ci ne tardent pas à ouvrir leur port à l'expédition malheureuse, secouée par des dissensions internes d'ordre politique et décimée par le scorbut et la dysenterie. L'année 1769 et la passage de Vénus devant le Soleil, marque sans conteste le point de départ de la grande coopération scientifique du siècle des Lumières. Le monde savant espère à cette occasion mesurer grâce aux observations astronomiques effectuées en maints endroits du globe, la distance séparant la Terre du Soleil afin de posséder un étalon de mesure de l'Univers. Cent cinquante [25]observateurs prennent part à l'événement. De Pékin à Manille, de Batavia à Cambridge, un effort de coopération scientifique internationale permet de démontrer ce que la bonne volonté peut réaliser dans la recherche pacifique de la vérité. Même si ces observations doivent être complétées au siècle suivant pour obtenir un résultat utilisable [26], elles ont une conséquence importante pour le développement de l'exploration du Pacifique. En effet, si Wallis découvre Tahiti en 1766 et Bougainville y séjourne quelques mois après lui, c'est le grand navigateur anglais Cook qui s'y arrête à nouveau en 1769 pour observer le phénomène astronomique. Couplée au récit admiratif de l'île de Bougainville, l'observation de Cook contribue à mettre en évidence l'intérêt scientifique de cette partie du globe et l'importance d'un statut international de neutralité pour les missions scientifiques. C'est au sein de cette tradition de neutralité, où l'homme n'est plus partout un loup pour l'homme, que doivent s'insérer les voyages de Dumont d'Urville. Ses deux expéditions effectuées entre 1826-1829 et 1837-1840 renouent avec la tradition scientifique du XVIIIe siècle et le prestige lié à ces activités. L'année 1840 voit l'envoi simultané de trois expéditions en direction du continent Antarctique [27] et l'intérêt international axé sur la découverte d'un des derniers points obscurs de la carte du globe s'inscrit en droite ligne dans la tradition du siècle précédent et préfigure également la manière contemporaine de mener conjointement les recherches scientifiques. La course aux connaissances inaugurées au siècle des Lumières, s'accélère au XIXe siècle pour se terminer par un élan collectif de communautés scientifiques multinationales ayant toutes les mêmes intérêts et répondant aux grandes interrogations du moment. C'est à l'intérieur de ce ]momentum historique que se place notre navigateur; tant grâce à ses motivations personnelles que nous étudierons ultérieurement, qu'aux besoins scientifiques et nationaux de la France de la première moitié du XIXe siècle. 1.4 La rivalité politique, missionnaire et commerciale 1.4.1 La seconde moitié du XVIIIe siècle Le traité de Paris de 1763 met fin à la Guerre de Sept Ans. Bien que la France perde le Canada et la Louisiane au profit de l'Angleterre qui réussit là une des plus grandes victoires territoriales de son histoire[28], elle retrouve un esprit conquérant. Dès lors, de la volonté de redévelopper ses possessions d'outre-mer, naissent les expéditions scientifiques avec arrières pensées politiques et commerciales organisées par les gouvernements. Après la guerre, une féconde rivalité franco-anglaise se manifeste par l'exploration méthodique du Pacifique et de l'Océanie. Ces expéditions officielles, doublées d'initiatives privées, foisonnent entre la signature du traité de Paris et 1842, date de la mort de Dumont d'Urville. La perte en 1763 pour la France d'une partie importante de ses territoires d'outre-mer inquiète nombre de Français. Considérée comme dangereuse pour l'avenir du pays eu égard à l'agressivité de la politique d'expansion coloniale menée par la grande rivale l'Angleterre, cette perte se doit d'être compensée. Bien que le traité instaure la paix, il est certain que les tensions qui subsistent entre les deux nations déboucheront inévitablement sur une nouvelle confrontation. Celle-ci se déroulera à nouveau immanquablement à une échelle mondiale et il importe de définir les bases d'une nouvelle stratégie. Le premier point de cette stratégie vise à devancer les Anglais par la prise de possession de territoires non encore occupés, utilisables comme bases pour une expansion ultérieure de la colonisation. Pressentant l'intérêt des îles Malouines, Louis Antoine de Bougainville, colonel de l'infanterie désoeuvré par la signature de la paix avec l'Angleterre, fonde sur ces rochers un établissement français en 1764. Toutefois, cette première entreprise coloniale après la guerre ne devait pas avoir de suite. Bien que les Anglais cherchent à revendiquer ces îles à titre de premiers découvreurs, c'est à cause des pressions du gouvernement espagnol que les Français font machine arrière. Acceptant l'argument que la situation géographique de ces îles les fait appartenir à l'Amérique du Sud et par conséquent à l'empire colonial espagnol selon le traité de Tordésillas de 1494, Bougainville opère le transfert de la colonie avant de se lancer dans son voyage de circumnavigation. Cependant, après le départ des Français, l'Angleterre obtient la cession de ces rochers au prix d'une menace de guerre [29]avec le pays de la péninsule ibérique et malgré les protestations conjuguées des deux monarchies bourboniennes. L'intérêt scientifique des expéditions du XVIIIe siècle est doublée d'une volonté coloniale indéniable. Ni la France ni l'Angleterre ne possèdent en 1763 de façade sur le Pacifique et ne peuvent rivaliser avec les Espagnols et les Hollandais. Cette situation change graduellement avec les voyages au long cours effectués entre 1750 et 1850. A cause de la stérilité repoussante de la Nouvelle Hollande [30]et des suites de la Révolution Américaine, les Anglais mettent longtemps à se décider de prendre officiellement possession de l'Australie (1788) malgré la florissante colonie qu'ils développent à Botany Bay. Peu désireuse d'acquérir des territoires qu'elle risquerait de perdre un jour dans de nouveaux soubresauts [31]l'Angleterre préfère opter pour une politique mercantile plutôt que pour une politique d'expansion coloniale proprement dite. En ce qui concerne la France, elle reste comme sa rivale absente du Grand Océan malgré les nombreuses prises de possessions symboliques effectuées. Dumont d'Urville lui-même, en faisant l'historique de l'archipel de Tahiti, remarque que "...l'île était possession anglaise en 1767. En 1768, quand Bougainville y passa, elle devint possession française, puis possession espagnole cinq ans plus tard, grâce à l'Espagnol Bonechea. Ainsi on se ballotait une puérile et nominale suzeraineté."[32]. Pourtant, si les voyageurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle ne font que peu de prises de possession autres que celles effectuées "sur parchemins"[33], ils préparent néanmoins la voie à l'établissement progressif des Européens en Océanie. 1.4.2 La première moitié du XIXe siècle Les activités de la France dans le Pacifique cessent dès le déclenchement des guerres de la République et de l'Empire. Cette attention tournée en priorité sur l'Europe efface quasiment le peu de traces que l'Hexagone avait laissées dans le Grand Océan. A la Restauration, la Hollande se fait restituer ses colonies et cherche à réinstaurer un monopole commercial. Quant à l'Espagne, elle possède encore nominalement toute la façade pacifique du continent américain, de San Francisco à la terre de Feu. Toutefois, cette hégémonie s'affaiblit avec la perte de puissance de la métropole et les efforts de ses rivaux pour lui ravir une part de souveraineté dans la région. Déjà, le traité de Bâle de 1795 l'oblige à renoncer au pacte colonial et à ouvrir ses ports au commerce étranger. De cette façon, "les idées pénètrent avec les marchandises : l'exemple de la Révolution Américaine, celui plus proche de la Révolution Française, ont contribué au soulèvement de l'aristocratie créole."[34]. Cependant, c'est la Restauration espagnole qui donne le coup d'envoi de l'éclatement de l'empire colonial espagnol. Sous les coups brutaux de la réaction, Simon Bolivar s'exile en Amérique du Sud stimulant, avec les élites locales et d'autres révolutionnaires tels que Sucre et San Martin, les indépendances des pays latino-américains entre 1800 et 1825. Dès le retour en France de la Monarchie, l'action du pays dans le Pacifique se base en grande partie sur le développement de la pêche à la baleine à partir des eaux de la Patagonie et renoue également avec les voyages de découvertes à buts scientifiques. Bien que les instructions du gouvernement insistent sur l'importance de faire progresser les sciences, elles mettent l'accent également sur la recherche de points d'escales et de lieux propres à la création d'une colonie pénale, sur le modèle anglais de l'Australie. Il faut attendre la Monarchie de Juillet pour que s'accélère les activités commerciales, coloniales et missionnaires de la France. En effet, ce nouveau régime constitutionnel amène au pouvoir la bourgeoisie industrielle et commerçante qui, avant 1830 déjà avait exercé sont influence sur l'expansion du pays dans le Pacifique. La révision de la Chartre accordant le droit d'initiative aux Chambres, lui donne désormais la possibilité de contrôler l'action du pouvoir. Ainsi, la bourgeoisie française favorisera de plus en plus la politique d'expansion et tentera de lutter avec des succès divers contre la concurrence commerciale britannique. C'est également après 1830, sous le règne de Grégroire XVI, le grand pape missionnaire, que les prêtres français prennent le chemin de l'Océanie. Les obstacles auxquels ils se heurtent chez les peuplades païennes ou dans les archipels déjà convertis par les Anglais [35], les obligent à solliciter la protection du gouvernement qui leur sera toujours accordée malgré les opinions libérales et anticléricales de la classe au pouvoir. Les recherches scientifiques après la Révolution de 1830 seront progressivement associées aux missions de protection de la pêche à la baleine et des intérêts français dans le Pacifique. L'Australie, devenue pratiquement "all british" est le point de départ de la colonisation et de l'évangélisation anglaise dans le Grand Océan. L'influence des prêtres anglicans dans la Nouvelle Cythère de Bougainville s'accentue avec les années et renforce la prépondérance commerciale des ressortissants anglais dans cet archipel[36] après le baptême en 1819 du souverain Pomaré II. De plus, en annexant la Nouvelle-Zélande en 1840, l'Angleterre augmente considérablement son prestige en Océanie. La menace grandissante de sa concurrente pousse le gouvernement français à agir. Ayant jeté son dévolu sur les îles Marquises, la France donne au contre-amiral Dupetit-Thouars des instructions confidentielles l'ordonnant de prendre possession de l'archipel afin d'y fonder un établissement. Loin de se contenter de ces instructions, Dupetit-Thouars instaure un protectorat sur Tahiti par la même occasion en 1842. Agissant de son propre chef, le marin met la France devant le fait accompli et prend de vitesse les Anglais; évitant ainsi de se faire évincer par un amiral arguant comme aux Malouines et ailleurs : "We were there first !" Malgré ces quelques succès, l'ouverture forcée de la Chine aux Anglais en 1842 et l'extension des Etats-Unis en Oregon et en Californie allait rendre inexpugnable en une décennie la position des Anglo-saxons sur la façade pacifique, plus forte encore que jadis l'avait été celle des Espagnols. 1.5.0 Le climat intellectuel 1.5.1 Avant 1800 Un des traits communs aux voyageurs d'avant le milieu du XVIIIe siècle, est qu'ils ne sont jamais étroitement spécialisés; tous sont plus ou moins botanistes, historiens, astronomes, etc... et font preuve d'un éclectisme que l'on peut encore qualifier d'humaniste. Or, le milieu du siècle voit l'apparition d'une nouvelle génération de voyageurs qui diffère de la précédante par les buts recherchés, les moyens utilisés et les résultats obtenus. Certes, les vieux explorateurs de l'Espagne, du Portugal et des Pays-Bas du XVe au XVIIe siècles sont de bons marins, choisis pour leurs connaissances autant astronomiques que maritimes. Toutefois, jaloux de leurs secrets, ceux-ci ne transmettent pas leurs résultats à leurs concurrents, ne permettant pas ainsi la résolution des questions scientifiques importantes. La Terra Australis, par exemple, considérée comme contrepoids obligatoire aux terres boréales depuis Théopompe et le IVe siècle avant J.C., constitue une puissante stimulation pour les initiateurs des Grandes Découvertes. Cependant, le manque de concertation à la Renaissance neutralise les efforts des explorateurs. Les observations de Magellan de terres au sud du détroit qui porte son nom, ainsi que le voyage du Français Gonneville au Brésil transformé dès 1504 par la tradition [37] et Mercator en une prétendue découverte du continent austral, ne sont poursuivis par aucune expédition de vérification. C'est une des raisons pour lesquelles Charles de Brosses, président du parlement de Bourgogne, résume en 1756 les voyages antérieurs afin de clarifier la situation des découvertes géographiques. Publiant une Histoire des navigations aux terres australes contenant ce que l'on sait des moeurs et des productions des contrées découvertes jusqu'à ce jour, et où il est traité des moyens d'y faire de plus amples découvertes et d'y fonder un établissement [38], de Brosses, ouvert aux Lumières sans partager toutefois leur point de vue anticolonialiste, écrit en citoyen et en géographe. Après avoir résumé les efforts des Hollandais, Espagnols et Portugais, il voit dans la création d'un empire d'outre-mer la possibilité d'enrichir son pays, d'exiler les éléments douteux de sa population, de contourner le monopole batave des épices et d'apporter enfin les bienfaits du christianisme aux peuplades primitives perdues dans l'immensité du Grand Océan. Certes, de Brosses est actionnaire de la Compagnie des Indes de son pays et l'aspect commercial peut sembler l'emporter sur les autres arguments. Toutefois, ami de Voltaire et éclairé par ses idées, les arguments scientifiques du Président ont plus qu'une importance secondaire. Si l'espoir de trouver des épices dans des terres nouvelles l'intéresse, résoudre enfin le problème du continent austral est capital [39]. De plus, faisant écho au voeu de Buffon, l'auteur prédit que sa découverte apporterait la connaissance de nombreuses plantes et d'animaux nouveaux et déplore en accord avec le grand naturaliste, le ralentissement de l'esprit de découverte au profit du développement de l'utilité des terres que l'on connait déjà. En soulignant les éléments principaux de l'ignorance occidentale en matière de géographie, de Brosses trace les programmes de toute l'exploration océanienne amorcée en France par Bougainville, en Angleterre par Byron, Wallis et Carteret et presque achevée par Cook et La Pérouse. En effet, en plus de l'ouvrage de de Brosses, l'accélération des publications des Lumières au milieu du siècle [40] donne un coup de fouet à la curiosité scientifique de la société occidentale. Cependant, l'ambition de la période ne se suffit désormais plus des récits de voyages traditionnels. Fontenelle résume fort bien le caractère imprécis, exagéré, souvent contradictoire des récits des voyageurs de la première moitié du siècle, le plus souvent marchands ou aventuriers que scientifiques, dans son Eloge de Tournefort : "Les Philosophes ne courent guère le monde et ceux qui le courent ne sont ordinairement guère philosophes." Toutefois, l'indifférence relative du XVIIIe siècle pré-rousseauiste face au monde naturel est compréhensible. La difficulté à résoudre le problème des longitudes avant l'apparition des chronomètres de marine, rend superflue la description d'endroits difficilement retrouvables. Dès lors, loin de songer à décrire des contrées inconnues, les marins ne relèvent que ce qui est de nature à intéresser d'autres marins : découpage d'une côte, dangers particuliers, source d'eau douce, etc... et le goût de l'exotisme, le sentiment de la nature ne sont pas leur affaire. A contrario de ce qui ce passe durant la première moitié du siècle des Lumières, la seconde moitié voit les recherches devenir méthodiques. Le voyageur ne se contente plus de fouler d'un pas rapide des contrées nouvelles mais tâche d'en tirer des connaissances et surtout d'en noter la position ! C'est à une "marine savante" qu'incombe ce travail et les savants ont leur place à côté des marins grâce au tonnage en hausse des bâtiments. Si Cook n'emmène toujours que quelques observateurs, les expéditions de La Pérouse et de d'Entrecasteaux sont de véritables expéditions scientifiques. Comme au temps de Charles Quint et de Philippe II, ces expéditions sont organisées et financées principalement par les gouvernements. Si l'étude de la géographie reste le but principal, les observations de toutes sortes se multiplient. Herbiers, échantillons géologiques, rudiments de collections ethnographiques sont rassemblés et les corps savants, société Royale de Londres, Académie des sciences de Paris, fournissent des instructions, des programmes de recherche et présentent des spécialistes. En parallèle des buts scientifiques de ces voyages, la prise de possession de points de relâche afin de développer la présence nationale outre-mer demeure important. Pourtant, malgré le dualisme des instructions, aucune colonie pénale avant celle de Port Jackson ne sera installée et cela presque vingt ans après le passage de Cook; démontrant ainsi la préséance de la science sur les autres domaines. Grâce aux expéditions du second XVIIIe siècle, la science géographique progresse à pas de géant. Après son deuxième voyage sous les hautes latitudes australes entre 1772 et 1775, Cook met fin au mythe du continent austral en le remplaçant par une hypothétique terre inhospitalière défendue par des glaces. Dès lors, le secret des récits de voyage n'est plus de mise et ces ouvrages deviennent à la fois des succès littéraires et une documentation précieuse pour les expéditions futures. 1.5.2 Après 1800 Si la géographie est la science principale qui occupe les explorateurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la carte du Pacifique aux alentours de 1800 ressemble singulièrement - rectifications mises à part - à une carte moderne : les côtes australiennes sont dessinées, la plupart des archipels découverts et le continent austral limité à ses justes proportions. Certes, l'improbable passage du Nord-Ouest reste à découvrir [41] près du pôle Nord et l'Antarctique continue à se cacher dans les brumes du Grand Sud. Toutefois, après les explorateurs du siècle des Lumières, il ne reste plus qu'à revenir sur des détails pour éclaircir la science géographique plutôt que pour l'augmenter. Les voyages de découvertes se transforment irrémédiablement en voyages d'études avec pour plus d'un demi-siècle, une foule de rectifications à effectuer. Désormais, les expéditions du premier XIXe siècle s'offriront le luxe d'insister bien d'avantage sur le géomagnétisme, l'hydrographie, les sciences naturelles et l'ethnographie. 1.6.0 Bref aperçu des explorateurs principaux précédant Dumont d'Urville Immense et lointain, le Pacifique ne révèle pas ses secrets avant le XVIIIe siècle. Certes, les Hollandais installés aux Indes néerlandaises depuis plus de deux-cents ans établissent les premières cartes dès le XVe siècle et Magellan effectue le premier tour du monde en 1520. Toutefois, à cause du manque d'expéditions systématiques, les Occidentaux ne peuvent compléter les zones d'ombres restant sur le globe terrestre. Les Français, ayant buté avec Gonneville au début du XVIe siècle contre une mystérieuse terre, en sont obsédés après la signature de la paix avec l'Angleterre en 1763. L'orgueil national, blessé par la perte du Canada et de la Louisiane, est stimulé par la rivalité avec l'Angleterre et entraîne aux coins les plus reculés de la planète, une galerie d'hommes hauts en couleurs qui n'auront de cesse, tout en servant leurs pays respectifs, d'étendre les connaissances scientifiques générales. 1.6.1 Wallis et Carteret 1766-1769 Partis ensemble en 1766, les Anglais Wallis et Carteret se perdent de vue lors d'une tempête à la sortie du détroit de Magellan et l'apport scientifique de leurs expéditions est limité. Certes le fait que Wallis débarque le premier à Tahiti n'est pas négligeable, eu égard à l'importance pour les Lumières de découvrir des hommes restés proches de la nature, loin de la perversion de la société. Cependant, le récit de voyage du découvreur, paru après celui de ses successeurs Bougainville et Cook [42], lui donne un air de "déjà vu" limitant son intérêt intrinsèque. Quant à Carteret, explorant principalement les parties équatoriales du Grand Océan, il atterrit sur l'île Pitcairn au cour de ses pérégrinations et longe une partie des côtes de la Nouvelle-Hollande, ou actuelle Australie. 1.6.2 Bougainville 1766-1769 Concomitamment aux voyages de découvertes des Anglais, le Français Louis Antoine de Bougainville, "honnête homme" du XVIIIe siècle par excellence, mondain et curieux de tout, part pour une expédition officielle dans le Pacifique après le déménagement de la colonie française des Malouines. Traversant le Grand Océan à bord de ses deux corvettes la Boudeuse et l'Etoile, il aborde Tahiti quelques mois après son prédécesseur. Bien que l'apport scientifique de ce voyage reste d'envergure limitée, il est nécessaire de mettre en lumière deux éléments primordiaux de cette expédition. D'un côté, Bougainville est le premier navigateur à observer systématiquement les longitudes en mer [43]. Cette activité a pour conséquence d'agrandir la carte du Grand Océan en lui conférant ses justes dimensions. L'auteur du Voyage autour du monde, conscient de l'importance de ces mesures, insiste sur le fait que "Cette observation est d'autant plus importante qu'on peut enfin, par son moyen et par celui des observations astronomiques faites à la côte du Pérou, déterminer d'une façon sûre, l'étendue en longitude du vaste océan Pacifique, jusqu'à ce jour si incertaine." [44]. De l'autre, le récit de voyage du commandant de bord couplé à celui de Commerson, botaniste embarqué et naturaliste du Roi, crée la légende Tahiti. Bien sûr, en comparaison des souffrances endurées dans le détroit de Magellan, Tahiti se devait d'être considérée à maints égards comme un paradis des Mers du Sud. La vision de femmes nues aux "formes célestes" offerte à quatre cents Français, jeunes marins en mer depuis plus de six mois, se devait de mettre à mal l'objectivité du récit des membres de l'expédition. Nonobstant les aspects négatifs de la société polynésienne, Bougainville croit qu'il détient la preuve décisive de la vérité, si populaire en France après les deux Discours de Rousseau, que l'homme naît naturellement bon et que c'est la société qui le corromp. Même si l'image enchanteresse qu'a Bougainville de l'île se modifie au fur et à mesure que l'archipel s'éloigne et que des rencontres violentes avec d'autres "naturels" [45] ont lieu, un accueil chaleureux est fait à Paris au souriant prince tahitien Aotourou dont le mode de vie supposé correspond si exactement aux théorie des Lumières. Le succès de Bougainville est plus littéraire que scientifique. Sympathique et populaire, son charme est en accord avec "l'air du temps" [46]. Reçu dans les salons, ses récits se doivent d'être exempts de lourdeur scientifique superflue. La vocation mondaine des récits de l'explorateur, justifie le peu de renseignements vraiment utiles sur les îles, les indigènes, la flore et la faune. Plus proche d'une antique conception du récit de voyage que du rapport scientifique, les textes de Bougainville se veulent avant tout une belle histoire littéraire. Cependant, au-delà du manque de résultats scientifiques utilisables, l'importance du voyage de Bougainville se situe au niveau de la masse d'enseignements que celui-ci a apporté à la France dans l'organisation des expéditions d'explorations officielles. 1.6.3 Cook 1768-1780 Cook est sans conteste l'autorité des Mers du Sud. En trois voyages - 1768-1771 sur l'Endeavour, 1772-1775 sur la Resolution et l'Adventure et 1776-1780 sur la Discovery et la Resolution - Cook résoud les deux grands problèmes du Pacifique. D'abord, grâce à des navigations poussées loin dans le Sud, le mythique continent austral est réduit à un amas de glaces au delà du cercle polaire, inutilisable comme colonie éventuelle. Ensuite, en dépassant le point extrême atteint par le Danois Behring quelques années auparavant, Cook démontre qu'il ne peut y avoir de passage franchissable, ni de continent à coloniser sous les latitudes arctiques. De surcroît, sillonnant l'Océan dans tous les sens, Cook est le véritable découvreur de la Polynésie dont il est le premier à reconnaître l'unité ethnique de ses habitants. La reconnaissance de cette unité s'étendant jusqu'aux îles Hawaï, lui est fatale puisqu'il perd la vie lors d'une attaque d'indigènes sur une plage de l'archipel, le 14 février 1779. Ses trois voyages d'explorations tirent un trait sur la période précoloniale de cette région du monde [47]. Même si le protectorat français ne s'exerce sur Tahiti qu'à partir de 1842, les missions religieuses anglaises suivent rapidement l'explorateur et les rapports économiques qui s'intaurent entre l'archipel et la colonie de Botany Bay en Australie ne manquent pas d'activer la décomposition des anciennes structures de la société polynésienne. 1.6.4 La Pérouse 1785-1788 Durant les voyages de Cook, la France ne demeure pas en reste. Si avec les expéditions de de Surville (1769-1770), de Marion du Fresne (1772) et de Kerguelen (1772-1774) le pays accroît ses connaissances du Pacifique, c'est sur l'expédition de La Pérouse que repose les espoirs nationaux d'achever avant les Anglais la connaissance du Grand Océan. Afin de concurrencer les succès de Cook, la France met sur pied en 1785 une expédition de grande envergure et Louis XVI, qui accède au trône en 1774, s'intéresse personnellement à parfaire les connaissances géographiques capables de servir l'intérêt national [48]. Alors qu'avec Bougainville le personnel savant reste encore limité, La Pérouse part avec une véritable académie flottante pourvoyée d'instruments perfectionnés et d'abondants mémoires de sociétés savantes pour orienter les recherches [49]. Sillonnant le Pacifique, l'expédition effectue une véritable moisson de renseignements scientifiques. Or, après un premier envoi en France depuis Botany Bay des collections récoltées, le contact est perdu avec l'expédition. Au grand désarroi de Louis XVI parrain du voyage, une nuit de tempête jette les frégates de La Pérouse sur la ceinture de corail d'une île, frustrant ainsi le pays des résultats de l'expédition. 1.6.5 D'Entrecasteaux 1791-1792 En juillet 1789, la France connaît les troubles de la révolution. Toutefois, les événements ne diminuent point l'inquiétude concernant le sort de La Pérouse. Parmi les membres de l'expédition se trouvent des scientifiques qui, comme leurs collègues restés en France, avaient combattu l'ancien ordre des choses et contribué ainsi, pour une large part, à la naissance du nouvel ordre égalitaire. Le moins que la République reconnaissante pouvait faire, était d'organiser une opération de recherche pour tenter de sauver ces hommes intrépides perdus dans l'immensité du Pacifique. L'Assemblée Nationale vote les crédits et le commandement est confié à l'homme de la Marine dont l'expérience de l'océan Indien est la plus grande : Antoine de Bruni, chevalier d'Entrecasteaux. Prenant la mer en 1791, d'Entrecasteaux emporte au sein de ses deux navires, les germes de discordes qui secouent la nation. La Révolution, ébranlant la pyramide sociale, fait de la discipline maritime une des premières victimes et l'administration de la Marine est obligée d'appliquer les principes démocratiques.[50] Bien qu'un semblant d'ordre soit restauré lors du départ, celui-ci reste fragile et sujet à tension. Aux pièges qu'une remise en question de la société apporte, s'additionnent les habituels dangers d'une longue navigation et comme ses prédécesseurs, Bougainville excepté, d'Entrecasteaux meurt en route. Si l'expédition est scientifiquement un demi-échec, les cartes précises de Beautemps-Beaupré, hydrographe du voyage, témoignent des efforts entrepris. Cependant, la recherche de La Pérouse se révèle infructueuse et le contraire eut été extraordinaire étant donné le nombre incalculables d'îles et d'atolls non encore cartographiés qu'il fallait explorer. Bien que l'entreprise survive au décès par scorbut du chef de l'expédition, elle se disloque complètement à son arrivée à Sourabaya dans l'île de Java sous les coups conjugués de la maladie et des nouvelles de la Révolution. Personne ne se doutait que sur l'île de la Recherche, nommée ainsi par d'Entrecasteaux lors de sa brève entrevue au nord des Nouvelles-Hébrides, se trouvaient les débris de l'expédition malheureuse de Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse. 1.6.6 Baudin 1800-1804 Dès les premières années du XIXe siècle, la France renoue avec les voyages d'explorations en organisant l'expédition de Baudin. Conçue dans une période où les troubles enveniment les activités humaines, les vrais motifs du voyage restent sujet à controverse. Néanmoins, cette expédition peut facilement être considérée comme une tentative faite par Napoléon pour impressionner ses adversaires par l'intérêt qu'il porte aux activités autres que militaires, "... l'offensive culturelle [étant] en effet la marque des gouvernements autoritaires."[51]. Bien que l'Empereur donne son accord à un voyage au long cours au moment ou la nation a besoin de toutes ses ressources, c'est à Baudin lui-même que revient le mérite de l'avoir provoqué par l'envoi au ministère de la Marine d'un dossier explicatif. Celui-ci donne son accord en considérant que le prestige et les connaissances géographiques qu'une telle expédition pourrait apporter à la France seraient de première importance. Conformément à la tradition des voyages d'explorations du XVIIIe siècle, Baudin embarque vingt deux scientifiques et leur matériel à bord de ses deux navires. Cette "offensive savante," mise sur pied malgré le précédent malheureux de d'Entrecasteaux, ne se fait pas sans heurts. On ne peut déterminer si la mésentente qui se déclenche en route est due aux troubles politiques de l'époque ou au caractère indépendant et querelleur des scientifiques. Toutefois, opposée aux officiers de marine soucieux de mener à bien leur mission en observant les règles strictes de la discipline, il est certain que cette inflation de savants à bord des navires n'est pas de nature à faire régner le calme durant le voyage. A cause d'un état physique déjà faible au moment du départ, Baudin meurt en route en 1803 et le Géographe et le Naturaliste, sous les ordres des seconds de l'expédition, rentrent en France l'année suivante. Cependant, malgré les disputes, "...la maladie et la pénurie de provisions [qui avaient empêché Baudin] d'accomplir son travail avec autant de soin qu'il le désirait"[52], l'expédition revient au pays avec une importante moisson scientifique. Deux cent quatre caisses soigneusement emballées sont distribuées à diverses personnalités et au Muséum. Cuvier en 1806, dénombre 2'500 espèces [53]nouvelles de plantes et d'animaux au sein des 23'415 pièces rapportées par l'expédition. Jamais le Muséum de Paris n'avait reçu d'apport aussi conséquent et les semences rapportées d'Australie ne tardèrent pas à germer et à se répandre dans les jardins du musée puis dans l'Europe entière; comme le témoignent les magnifiques Eucalyptus ornant actuellement les bords de la Méditerranée. 1.6.7 Freycinet 1817-1820 Louis de Freycinet, officier lors de l'expédition précédente, achève d'écrire en 1816 le récit du voyage de Baudin. La fin des guerres européennes lui permettant d'organiser une expédition dont il espère obtenir le commandement, il propose au ministre de l'Intérieur un programme ambitieux de recherches scientifiques [54]. Quittant la France en 1817, Freycinet embarque illégalement une femme à bord de son vaisseau l'Uranie : son épouse Rose de Freycinet ! Déguisée en matelot, celle-ci décide d'accompagner son mari de santé fragile. Cette présence féminine n'ayant en rien compromi la bonne marche de l'expédition, la Marine ferme les yeux lors du retour du navigateur [55]. Marqué par les "habituelles" attaques de scorbut et de dysenterie, ce voyage n'apporte aucune découverte géographique supplémentaire, si ce n'est un îlot insignifiant à l'Est des Samoa, baptisé par le chef de l'expédition île Rose "du nom d'une personne qui m'est extrêmement chère" (!). De plus, au retour de l'expédition le capitaine s'échoue aux îles Falkland sur un récif en forme de clocher d'église que ni la sonde babord ni celle de tribord n'ont pû prévoir. Obligé d'abandonner le navire qui prend l'eau de toutes parts, le commandant réussit à sauver la plupart des collections récoltées et les documents complétés. Après un séjour à terre, Freycinet achète un baleinier américain dans lequel s'entasse l'équipage pour effectuer le trajet de retour jusqu'en France. Honorablement acquitté par le Conseil de guerre réuni pour statuer sur le naufrage de l'Uranie, Louis XVIII décerne personnellement à Freycinet le grade capitaine de vaisseau au même moment où ses travaux reçoivent l'éloge du monde savant. A la suite de cette exploration, la "marine-savante" ne connaîtra plus qu'un seul nom : celui de Dumont d'Urville. Reprenant le flambeau de ses prédécesseurs, l'illustre marin portera au pinacle les activités scientifiques de la Marine nationale avant que cette dernière ne se consacre presque exclusivement aux missions d'expansion coloniale dans le Grand Océan. Chapitre 2.0 Portrait de Dumont d'Urville "La tête droite, le regard assuré." Molière Dumont d'Urville est sans conteste une personnalité d'une grande complexité. A la fois hautain et proche des hommes, nerveux et sûr de lui, sobre et bon vivant, savant et navigateur, les multiples facettes de cet homme haut en couleurs s'opposent à toute tentative de catégorisation. Les quelques biographies existantes du navigateur, loin de brosser un portrait complet de la richesse du personnage, tendent à souligner un aspect particulier de son caractère en laissant sous silence le reste de sa personnalité, souvent antinomique, qui forme l'homme tout entier. Les premières tentatives de biographies datent de l'année de la mort du contre-amiral. Notices nécrologiques, discours à la mémoire du disparu, les essais sont dus aux anciens camarades de campagnes de Dumont d'Urville : Amable, Lesson, Vincendon-Dumoulin et Lebrun [56]. Tous, frappés de stupeur au décès aussi subit que tragique de toute la famille de leur ami, font l'éloge des qualités de leur ancien chef. Il faudra attendre quelques années pour entendre un autre son de cloche sous la plume des détracteurs de d'Urville et voir modifiée l'image - trop ? - idéalisée que les premiers auteurs avaient créée au lendemain de la mort du navigateur. Les premiers témoignages cherchent à faire l'éloge de l'intéressé, les seconds, au contraire, tendent à diminuer l'importance du personnage par la présentation de traits peu aimables ou volontairement défavorables. Dans cette catégorie, le physicien Arago et le médecin Le Guillou forment le fer de lance des adversaires de l'amiral [57]. Cherchant à rabaisser l'homme, ils présentent un d'Urville fourbe, arriviste, uniquement guidé par un besoin de gloire personnelle, scientifiquement et maritimement incapable. Au XXe siècle, peu de travaux vraiment nouveaux voient le jour. Mis à part l'ouvrage que Camille Vergniol publie sur le marin en 1930 en utilisant des archives qui disparaîtront durant le second conflit mondial [58], il faut attendre 1986 pour qu'un certain intérêt se porte à nouveau sur ce personnage hors du commun. Cette année-là Coutureau soutient une thèse sur le deuxième commandement de Dumont d'Urville [59]et l'amiral Guillon fait paraître une biographie relatant les principaux événements importants de la vie de l'illustre marin. Or, si Couturaud se concentre sur le second voyage, Guillon insiste sur l'aspect événementiel de la vie du commandant et tous deux ne brossent qu'un portrait sommaire du caractère de l'explorateur. L'étude de la personnalité de Dumont d'Urville reste à faire. Au milieu des témoignages amicaux ou hostiles qui sont apparus après la mort du contre-amiral, il nous semblerait intéressant de tenter de chercher un équilibre entre deux jugements radicalement opposés nés de partis pris irréconciliables. Le rapide exposé de la personnalité du circumnavigateur que nous allons effectuer, loin de vouloir porter un jugement sur le bien fondé des arguments des amis ou des détracteurs de d'Urville, cherchera à mettre en lumière, au travers de témoignages de l'homme lui-même ou d'historiens penchés sur ses travaux, les traits caractéristiques de sa personnalité. Jules Sébastien César Dumont d'Urville est né le 23 mai 1790 à Condé-sur-Noireau, petite ville normande située à une quarantaine de kilomètres de Caen. Les Dumont se transmettent depuis 1689 la charge de Grand bailly, Haut-justicier politique et vicomtal de Condé-sur-Noireau, Fresne et autres lieux, depuis l'acquisition par un ancêtre du fief de d'Urville, situé non loin de là. Lors de sa naissance, son père entre dans la soixantaine. Traîné par les révolutionnaires devant un tribunal pour "entente avec l'étranger et complot contre le salut de la patrie" dont la seule peine prévue est la guillotine, il sauve sa tête grâce à sa femme qui assure seule la défense étant donné qu'aucun ami n'accepte de lui rendre ce service. Se retirant dans la petite propriété champêtre qui leur reste à Feuquerolles près de Saint-Germain-de-Grioult, Adélaïde Dumont d'Urville élève ses trois enfants après la mort de son mari en 1795. "Indifférente à l'opinion, fidèle à sa tradition et à ses croyances, elle n'avait pas pardonné aux révolutionnaires qui avaient soumis sa religion à la loi,... guillotiné son roi et l'avaient condamnée à une retraite presque indigente." [60]. Désormais, malgré le mauvais sort, elle n'a plus qu'un but : élever ses enfants et plus spécialement Jules Sébastien César, dernier porteur du nom des Dumont d'Urville. Toutefois, instruite selon les principes de son temps, la mère de Jules n'est pas en mesure de garantir une solide instruction à son fils. Ce sera son frère, l'abbé de Croisille en disponibilité durant ces années troubles, qui se charge de prendre en mains l'instruction du jeune d'Urville dès 1798. Lui enseignant les auteurs latins, le théâtre de Racine, l'algèbre, la rhétorique et la philosophie, il lui fait également découvrir ce qui deviendra une de ses grandes passions : la botanique [61]. Cette éducation que n'eût pas reniée Rousseau, le pousse en 1804 à entrer au lycée Impérial de Caen, avec dans l'idée de préparer le concours de l'Ecole Polytechnique. Apparemment, sa mère se désole de le voir entrer dans un établissement laïc au sein duquel les idées pernicieuses de "...maîtres athées, la promiscuité des condisciples venus de tous les milieux, la contagion des idées philosophiques et révolutionnaires [et]... la liberté de pensée et de comportement" [62] ne manquent pas de circuler. Loin de la règle des bons pères, d'Urville ne peut être contraint dans ses lectures: les Encyclopédistes, Anson, Cook et Bougainville en tête, sont les autorités auxquelles il allait toute sa vie durant, se référer. Toutefois, livré à lui-même, "...sans conseiller, ni directeur d'études", d'Urville échoue au concours d'entrée de Polytechnique en 1807. Refusant de se présenter une seconde fois, il se tourne alors vers l'Ecole Navale de Brest. N'ayant aucune attache familiale dans la Marine, ignorant tout de la mer, la vocation subite du jeune homme de dix-sept ans est difficile à cerner. Lesson, qui connaît le jeune Jules Sébastien César de cette période, le décrit comme un garçon solitaire et méprisant de prime abord. Studieux, d'une grande timidité, il est "...peu soigné dans sa mise... rebelle aux belles manières, aux plaisirs de la société, à la conversation, à la musique et à la danse." [63]. Nommé enseigne de vaisseau en 1812, il est admis au carré des officiers subalternes mais ne s'y fait pas d'amis. Dans cet univers condamné à vivre pour de longues périodes en vase clos, ses camarades l'affublent d'un sobriquet représentatif : le Hibou ! Solitaire et studieux, sobre à l'excès, ennemi des cafés et des routines de l'obéissance aveugle, il refuse par son comportement de s'insérer au sein du groupe dans une vie considérée monotone et sans lendemain. Fidèle à l'instruction reçue de l'abbé de Croisille, d'Urville ne parvient pas à apprécier la marine de guerre et préfère de loin la marine de découvertes : "...mon esprit naturellement républicain [64] ne pouvait concevoir la gloire réelle se rattachant à l'action d'exposer ses jours pour un différent de choses et de mots." [65]. Pourtant, les expéditions de découvertes ne sont pas légion dans la Marine française avant la Restauration. La France, trop occupée à survivre face à la coalition de puissance étrangères hostiles à la Révolution, ne songe plus depuis le voyage de Baudin à dupliquer une expérience jugée sans profit stratégique immédiat. En garnison à Toulon, d'Urville attend des jours meilleurs en se consacrant à corps perdu à l'étude. 2.1 Ses tendances politiques Lors du retour de Napoléon de l'île d'Elbe, Dumont d'Urville refuse de voter l'acte additionnel à la Constitution de l'Empire que propose l'empereur et donne sa démission de la Marine en demandant d'être muté dans l'artillerie. S'opposant au retour de Napoléon et se disant républicain, d'Urville tolère sans plus le règne de Louis XVIII. "J'avais déploré la ridicule ligne de conduite adoptée par les Bourbons, depuis leur rentrée; mais je détestais bien davantage le despotisme militaire du grand homme. L'inéptie des Bourbons laissait du moins une apparence de liberté pour l'avenir..." [66]. Ce geste connu de son oncle, autorisera ce dernier à écrire dans une des nombreuses lettres de recommandation qu'il fera pour son neveu durant sa carrière, qu'il est toujours demeuré fidèle au roi, même durant l'inter-règne des Cent-Jours. Cependant, plus tard d'Urville devait écrire : "Je riais sous cape, moi, dont les idées, déjà prononcées étaient toutes républicaines, de me voir confondu avec le troupeau des généraux paladins de la légitimité."[67]. Certes, malgré les préférences républicaines du marin, la Restauration fleure bon les possibilités nouvelles pour un jeune officier avide de voyages de découvertes. Le régime précédent, trop occupé à guerroyer, n'était pas à même de répondre aux attentes d'un homme comme Dumont d'Urville désireux de vouer sa vie au développement des sciences. 2.2 Son complexe de supériorité Jusqu'en 1818, date de son premier embarquement, d'Urville temporise à Toulon. Utilisant cette période pour étendre ses connaissances linguistiques et astronomiques, le navigateur impressionne ses contemporains par l'ampleur de son érudition. Maîtrisant l'astronomie, la botanique et l'entomologie, il parle en outre "...couramment l'Anglais, l'Allemand, l'Italien, le Russe, le Chinois et l'Hébreu, en plus du Grec et du Latin"[68] [69]et il est rare de voir un élève de marine avec un tel bagage. Possédant le génie des langues, il ne manque pas de développer des recueils de vocabulaires autochtones lors de ses voyages en Océanie, qu'il compte transformer en autant de publications. Grâce à sa mémoire prodigieuse, d'Urville est capable de se faire comprendre dans un grand nombre de dialectes polynésiens et mélanésiens à la suite de ses études comparatives de langues autochtones effectuées durant ses trois voyages dans le Pacifique. En plus d'avoir une utilité pratique durant ses expéditions, les études linguistiques des dialectes locaux permettent à d'Urville de deviner les quatre grands groupes de peuplement de l'Océanie et de diviser ainsi ce vaste espace en autant de catégories basées sur les caractéristiques des habitants. Toutefois, si d'Urville possède des connaissances au dessus de la moyenne, il se forge une haute idée de lui-même l'empêchant de se considérer l'égal de ses confrères. "Il aimait à tenir, jour par jour, un journal des travers et des ridicules de ceux avec lesquels il vivait... Il épanchait sa bile sur tous avec une verdeur et une crudité d'expression désespérantes, et ses meilleurs amis ne sont pas ceux qu'il a le moins rudement fustigés... Une rancune ne sortait jamais de l'âme de M. d'Urville, une fois qu'elle y était entrée, et le temps loin de l'affaiblir, ne faisait que lui donner de la force."[70]. Ce complexe de supériorité le poursuit toute sa vie. Si avec le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences Arago le choc des personnalités deviend homérique, à bord des navires cette incapacité à reconnaître les qualités d'autrui lui rend la vie difficile. Dès que le gros temps s'installe, il déménage dans le rouf de la dunette d'où il contrôle tout, surveille l'homme de barre et l'officier de quart, ne faisant confiance à personne. Le reste du temps, il demeure le plus souvent seul dans sa cabine où il prend ses repas et se consacre à ses recherches scientifiques, ce qui ne l'empêche pas d'arriver à l'improviste sur le pont afin de contrôler le travail de chacun. Poussant loin l'art de ne jamais se faire oublier, le commandant ne cessera de se mettre en valeur, d'attirer l'attention sur son mérite et ses services, de les grossir démesurément et le plus sincèrement du monde et de réclamer comme un droit un salaire ou une faveur. La renommée que d'Urville recueille à la suite de son premier voyage ne modifie pas son comportement, bien au contraire et le conforte dans son opinion selon laquelle il est supérieur au commun des mortels. 2.3 Son apparence physique En ce qui concerne son apparence physique, d'Urville cultive également le sens du contraste. "Grand sec, mal fait, dégingandé, les os un peu gros, le cheveux frisant naturellement, le front haut, large, découvert, yeux bleus, nez petit, lèvres minces, menton saillant et lourd, dents fortes", le portrait anthropométrique rédigé par son ami Lesson semble exempt de complaisance. De stature impressionnante, le peu de soin qu'il voue à sa personne jure avec son rang d'officier de Marine et de grand érudit. En effet, en sus de son air régulièrement dédaigneux, le commandant arbore une tenue négligée. A bord, il est plus mal vêtu que ses matelots : "...débraillé, sans bas, en culotte de toile percée, en veste de coutil flottante, sans cravate et coiffé d'un mauvais chapeau de paille percé à jour."[71]. Il ne porte l'uniforme de la Marine qu'exceptionnellement, lors de grandes occasions où il a conscience de représenter la France et où son orgueil naturel le pousse à impressionner plus que de raison ses interlocuteurs. Toutefois, méprisant les signes extérieurs de richesse autant que la convenance, son attitude de travailleur infatigable et compétent le rend respecté par les hommes naviguant sous ses ordres. 2.4 Son bon fond Au-delà de son comportement en apparence distant et froid, le commandant d'Urville reste très attaché à son équipage. Il est clair que seul, d'Urville ne peut effectuer ses recherches et qu'il a besoin de l'entière coopération de ses hommes. Tout mécontentement d'envergure arrêterait net l'expédition et le souvenir de d'Entrecasteaux est frais dans la mémoire du Normand. Dès lors, même si le commandant pousse ses marins jusqu'à leurs limites, il s'inquiète de la santé générale de l'équipage. Lorsque quelques marins s'en vont chasser sur la banquise de l'Antarctique alors que les corvettes bloquées dans les glaces attendent un vent salvateur, d'Urville est "...sur des charbons ardents. Si, comme chacun l'appelait de ses voeux, une brise fraîche du nord nous fût venue... je franchissais lestement notre barrière pour rallier la pleine mer, c'était alors cinq homme livrés à la plus affreuse des morts." [72]. Cet incident reste marqué dans la mémoire des membres de l'équipage tout entier. Le quartier-maître Seureau qui assiste à l'incident, remarque que "...cest malheureux avait plus d'une lieu à faire pour attraper le bord" et que plus tard, "...le commandant leur fit une petite moral sur le dangers quils courait." [73]. Si le danger d'abandonner cinq hommes sur une banquise mérite une "petite morale", d'Urville se sent également responsable lorsque de nombreux marins souffrent du scorbut ou de dysenterie. Visitant les deux navires régulièrement pour se rendre compte personnellement du progrès de la maladie, le commandant prend à coeur le malheur de ses hommes. En cas de décès, Dumont d'Urville ne reste pas indifférent. Les relations des voyages recèlent d'innombrables mentions concernant les marins morts en route. Toutes sont empruntes d'un profond humanisme témoignant de l'intérêt que le commandant porte à ses hommes malgré ses airs hautains et dédaigneux. A propos de Bajat, matelot de vingt deux ans, d'Urville reconnaît en ce "...jeune plein de courage et d'intelligence ...[une] conduite et [une]... tenue exemplaires. Ce marin était considéré comme le meilleur homme de l'équipage." [74]. En ce qui concerne le matelot Fabry, mort en novembre 1839, le commandant écrit : "...il était un des matelots les plus aimés pour son intrépidité et son dévouement." [75]. Quelques jours plus tard, lorsque le jeune mousse Moreau décède à l'âge de quatorze ans, le chef de l'expédition ne manque pas de s'émouvoir : "Ce malheureux enfant conserva sa connaissance jusqu'au dernier moment. Quelques instants avant de mourir, il annonça lui-même sa fin prochaine à ses jeunes camarades..." [76]. La compassion dont Dumont d'Urville fait preuve contraste fortement avec les témoignages de ses anciens amis. Certes, le commandant est responsable de la vie de ses marins et son commentaire se doit d'être emprunt de tristesse lors des exposés officiels publiés aux frais de l'Etat. Pourtant, la véritable hécatombe des expéditions du navigateur normand [77] jure en comparaison des voyages précédents. Si Duperrey ne perd qu'un seul homme durant ses explorations, les expériences de Cook effectuées soixante ans auparavant avec la choucroute permettent de limiter les pertes dues au scorbut. Toutefois, les pertes de Dumont d'Urville ne peuvent être abordées intelligemment qu'à la lumière de la façon dont le commandant se traite lui-même. 2.5 L'hygiène et la santé Exigeant quant à l'application des mesures d'hygiène que doivent observer son équipage, Dumont d'Urville s'occupe fréquemment d'une "...opération... importante, celle de nettoyer et de purifier le navire dans toutes ses parties" [78], afin de l'assainir conformément aux théories airistes concernant les origines du scorbut. Cependant, bien qu'il impose de strictes mesures d'hygiène à ses subordonnés, il les néglige totalement pour son propre usage. Lesson dit de lui qu'il "...n'avait que peu de confiance dans la médecine, et ...dédaignait l'hygiène nautique." En ce qui concerne ses habitudes alimentaires, il semble bien qu'elles aient été la cause de nombreuses souffrances chez le navigateur. En effet, comme la plupart des officiers de marine de son époque, Dumont d'Urville est frappé très tôt dans sa vie par des accès de goutte provoqués par une alternance de nourriture mal équilibrée et riche en graisses, en mer, avec des excès de bonne chère aux escales. A cause de son hygiène personnelle en grande partie délaissée, d'un rythme de travail irrégulier et trop soutenu, ses crises épisodiques de goutte deviennent chroniques durant le deuxième voyage et s'ajoutent à de nombreuses complications : "...déformations articulaires, insuffisances rénales, diabète, hypertension artérielle et artériosclérose." [79]. Les problèmes physiques de d'Urville sont tels pendant son voyage au pôle Sud et en Océanie, qu'il rédige son testament entre deux fièvres, laissant temporairement la conduite des opérations au capitaine Jacquinot. 2.6 Sa morale Sur le plan de la moralité, le commandant d'Urville se veut irréprochable. N'oublions pas qu'il est marié depuis 1815 et que s'il se permet quelque écart de conduite au cours de la quinzaine d'années qu'il passe à naviguer sur les mers du globe, ses récits ne n'en font pas mention. A contrario, son passage à Tahiti en 1839 donne un exemple de sa probité. Accompagné par son fidèle ami Jacquinot, il décide un jour de se baigner dans les eaux d'une rivière; "...nous suivons les eaux du limpide torrent de Matavai, et nous y prenons un bain d'une heure ou deux. Près de nous, au milieu des bosquets de goyaviers rôdent des naturels qui nous offrent à chaque instant des femmes, mais voyant que leur marchandise n'avait pas cours chez nous, ils courent s'adresser aux officiers et aux matelots près desquels ils trouvent un merveilleux débit."[80]. Bien que le commandant refuse l'avance des autochtones de Tahiti, il donne toute licence à son équipage qui profite de la permission ainsi accordée pour mettre à profit leur séjour dans la Nouvelle-Cythère de Bougainville. Seureau, invité à partager avec d'autres, l'humble repas d'une famille de "naturels", illustre dans son journal les moeurs particulières en vigueur dans cet archipel : "Dutant que la poulle cuisait, ils nous envoiyérent chercher des cocos, des banannes et des citron et nous fesiont la mour à la filles en même tems devant son pére qui était comptems comme un dieu."[81]. La droiture de d'Urville ne fléchit pas devant les coutumes polynésiennes en contradiction avec son éducation européenne et reflète une force de caractère qui ne manque pas de s'exprimer durant les voyages, témoignant de sa fermeté et de ses aptitudes de chef d'expédition. 2.7 Sa fermeté La fermeté de caractère de d'Urville est un élément qui n'est pas sujet à controverse. Envers son équipage et ses amis, le commandant fait montre d'une rigueur qui, bien que permettant quelque latitude lors des escales, n'accepte aucun écart mettant en péril la sécurité de l'expédition ou l'ordre dans lequel il entend mener ses hommes. Lorsqu'un matelot descent à terre sans armes aux îles Gambiers et se fait dépouiller de tous ses habits par une troupe de "sauvages", Dumont d'Urville se montre ferme avec son subordonné. Ne jetant pas la pierre sur les "naturels", il cherche à effrayer son matelot pour lui faire comprendre, non sans humour, le danger qu'il y a à se promener sans escorte dans des contrées peu sûres : "Il ne vous on fait que sa, ho je ne pair pas espoir que quel jour il ne vous mange pas."[82]. Ensuite, bien que l'équipage soit dirigé avec fermeté, les indigènes ne réussissent guère mieux à abuser de la tolérance du capitaine. Une paire de bottes volée à un commis chargé de faire des échanges, provoque une réaction violente de la part de Dumont d'Urville. Débarquant avec quarante hommes armés, il impose au chef de la tribu fautive la restitution des effets dérobés, de même qu'une rançon de douze cochons. Ce coup de force dénote la fermeté du commandant et sa volonté de ne tolérer aucune entorse de nature à déprécier les relations entre Occidentaux et Océaniens. Enfin, bien que les équipages et les "naturels" se rendent rapidement compte du caractère de Dumont d'Urville, il en est de même en ce qui concerne les plus hauts dignitaires des chefferies polynésiennes. A Tahiti, lorsque deux prêtres français sont molestés par des pasteurs anglicans aidés par des autochtones, le commandant n'hésite pas à se montrer sévère envers la régente des îles. Couplant à sa fermeté naturelle son rôle de représentant de la France et décidé de sauvegarder les intérêts de son pays, d'Urville ne saurait admettre aucune violence envers des concitoyens. "Après avoir salué la reine et l'avoir considérée un instant en silence, d'un air un peu sévère, je lui adresse la parole à peu près en ces termes : J'ai appris... les mauvais traitements qui ont été infligés aux missionnaires français, par ordre de la reine; j'ai cru devoir me déranger de ma route pour venir lui demander des explications d'une conduite aussi blâmable, et satisfaction s'il y a lieu. ...Les traitements cruels qui ont été infligés à deux citoyens français, étaient tels que l'on ne pouvait se dispenser d'en demander raison. J'ajoutais que la reine Pamaré-Vahiné devait s'estimer fort heureuse de s'être tirés à si bon marché de la position fâcheuse qu'elle s'était faite à l'égard de la France. Ces paroles un peu sévères sont rendues fidèlement par l'interprète, car je m'aperçois que Pomaré est vivement affectée, et que des larmes commencent à s'échapper de ses yeux..." [83]. Conscient d'être "un peu sévère", d'Urville ne s'en excuse par pour autant. Seul le résultat semble compter pour lui et si ses amis sont les premiers concernés par sa fermeté de caractère, ses adversaires la subisse dans toute son implacabilité. Dédaigneux et hautain, Jules Sébastien César Dumont d'Urville possède néanmoins de nombreuses qualités. Bien que ses rapports avec son équipage ne sont pas emprunts d'un paternalisme chaleureux, il maintient un contact direct avec ses suborbonnés dans toutes les situations, toujours prêt à prendre la conduite des opérations d'une manière magistrale et autoritaire. De plus, son habillement volontairement débraillé cache l'envie de se faire accepter au sein de la grande famille des gens de mer malgré ses airs bourrus d'homme du monde. "Six pieds de terre, dit-il, finissent par égaliser tous les rangs." En fait, le désir d'être aimé de ses proches et apprécié de l'opinion publique est le moteur du caractère de ce navigateur. Radicalement ferme avec ses contradicteurs, il sait néanmoins plaire aux personnes capables de l'aider dans son ascension vers la renommée, créant ainsi une image fort contrastée de sa personnalité. Chapitre 3 Premiers embarquements de Dumont d'Urville "Il faut être insensé pour vivre et mourir sans avoir au moins essayé de faire le tour de sa prison." M. Yourcenar 3.1 La campagne hydrographique de la Chevrette 1819-1820 Avant de se pencher sur l'étude méthodique des deux commandements de d'Urville autour du monde, il est nécessaire de mettre en lumière un premier événement d'importance dans la vie du marin : la découverte de la Vénus de Milo. En effet, c'est grâce au rôle joué par d'Urville dans l'achat de cette statue par la France pour le compte du musée du Louvre qu'il attire sur lui l'attention de l'Académie des sciences, qu'il est nommé chevalier de la Légion d'honneur et qu'il reçoit le grade de lieutenant de vaisseau. La gabare la Chevrette de la Marine s'apprête à repartir en 1819 pour son quatrième voyage à but hydrographique. Depuis 1819 le capitaine Gauttier-Duparc dit "l'Horloge" commandant le navire a déjà effectué trois expéditions cartographiques afin de "dresser une carte exacte de l'archipel du Levant." [84]. Grâce à la période de calme suivant les guerres d'Empire, les travaux de paix reprennent de plus belle. Ainsi, Gauttier poursuit "...le laborieux travail qui devait doter la France, et les marins de toutes les nations, d'une carte exemplaire de la Méditerranée. En cette année 1819, le programme échelonné sur neuf mois... prévoyait... la détermination des positions géographiques des îles des l'Archipel grec." [85] [86]. Dumont d'Urville, en service à terre à Toulon depuis vingt-neuf mois, est volontaire. Le commandant Gauttier accepte sa proposition et le charge en plus de ses devoirs d'enseigne de vaisseau, de s'occuper des observations d'histoire naturelle et d'archéologie. Ce fait, s'il paraît banal de prime abord, est révélateur de l'évolution qui se produit dans les expéditions d'explorations maritimes depuis la fin du XVIIIe siècle et le voyage de Baudin. Désormais, les savants n'embarqueront plus au profit d'officiers de la Marine ayant les qualités requises pour effectuer les observations scientifiques. Certes, le voyage de la Chevrette n'est pas un véritable voyage de découvertes mais il a le double avantage pour d'Urville d'avoir un but scientifique et de se dérouler en des lieux dont il a toujours rêvé. En rade de Milo, près des vestiges de l'antique Mélos, deux bâtiments de la Marine française attendent, le 8 avril 1820, des vents favorables pour la poursuite de leurs voyages. Pendant ce temps, un élève de marine nommé Olivier Voutier entreprend à titre privé des fouilles archéologiques sur le site. Près de lui, un paysan du nom de Yorgos creuse également la terre à la recherche de pierres de taille pour sa maison, mettant à jour une cavité cachée jusque-là par l'exhaussement du sol. Or, pénétrant dans cette petite pièce dans l'espoir d'y trouver le matériel recherché, Yorgos ne découvre qu'une masse informe de blocs de marbre souillés par la terre. "Par un hasard providentiel se trouvait à vingt pas de là..."[87] Olivier Voutier qui, intrigué par la découverte de la cavité, s'empresse d'accourir. Entrant dans la salle souterraine, l'élève de marine dégage les pièces de marbre et reconnaît du premier coup d'oeil un morceau digne d'intérêt. "Qui a vu la Vénus de Milo, raconte Voutier, peut juger de ma stupéfaction." [88]. Préparé par ses études et par son goût pour l'Antiquité, il est frappé par la beauté de la découverte. Sans perdre un instant, il avertit Brest, agent consulaire de France à Milo et le presse de chercher à acquérir la statue pour en assurer la possession à la France. Retournant ensuite à bord de l' Estafette, il prend du papier et un crayon afin de dessiner les contours de l'oeuvre d'art. Grâce à ce croquis - inclus en annexe - complétant le rapport de l'élève de Marine, "...le commandant fit appareiller immédiatement pour Constantinople, afin d'aller instruire de l'événement notre ambassadeur, le marquis de Rivière."[89]. Sur ces entrefaites, la Bonite arrive à Milo pour délivrer des vivres à la Lionne. Le 11 avril, soit trois jours après la découverte, le capitaine de la première gabare, Dauriac écrit au consul général de France à Smyrne, Pierre David, pour le tenir au courant de la découverte de Milo. Le lendemain, Brest fait de même et lui demande s'il désire que la statue soit achetée pour le compte du gouvernement français. Le capitaine de la Lionne, Duval d'Ailly, ne reste pas insensible non plus à la beauté du marbre et fait également part au consul français de la valeur de cette sculpture. Le consul de Smyrne est donc en possession de quatre rapports concernant la statue de Milo. D'un côté, les rapports écrits de Brest, Dauriac et Duval d'Ailly font tous l'éloge de l'oeuvre grecque. De l'autre, Voutier et son commandant Robert ont confirmé de vive voix cette découverte lors de leur passage dans le grand port ottoman. Convaincu par les différents rapports, le consul français transmet ces informations au marquis de Rivière, ambassadeur à Constantinople. Entre-temps, la Chevrette avec à son bord Dumont d'Urville arrive dans l'île dans le but d'y embarquer un pilote. Profitant de l'occasion, d'Urville descend à terre herboriser et rencontre Brest qui ne manque pas de le tenir au courant des événements. D'Urville se dirige aussitôt vers la statue et reconnaît sans coup férir une oeuvre de qualité, confirmant les impressions de ses prédécesseurs. Toutefois, cherchant à acheter la sculpture, Brest lui apprend que la priorité d'achat revient à l'ambassadeur de France selon l'accord passé antérieurement avec Yorgos, le paysan grec. De plus, celui-ci en demande un prix jugé exhorbitant qui ne perment pas aux Français présents de l'acquérir. Enfin, le commandant Gauttier de la Chevrette décide qu'il n'y a pas place à bord pour un colis aussi encombrant et fragile alors que le navire est au début de sa campagne qui s'annonce difficile et mouvementée [90]. Dans l'incapacité d'emporter le chef-d'oeuvre, d'Urville le dessine également et consigne ses observations dans un rapport qu'il transmet à son commandant ainsi qu'à l'ambassadeur de France. Toutefois, ce rapport est rédigé le 19 avril [91] et ne fait que répéter les faits déjà mis en lumière par les divers compatriotes qui l'ont précédé. Quittant Milo, la Chevrette arrive à Constantinople le 22 avril. Invité le lendemain à la table de l'ambassadeur, d'Urville est questionné sur "...la valeur qu'il convient d'attacher à cette statue dont il a appris l'existence la veille."[92]. Selon le biographe du marin, l'amiral Guillon, d'Urville met toute sa science et tout son enthousiasme à convaincre l'ambassadeur que la pièce est de grande beauté. A la suite de cette argumentation, l'ambassadeur aurait été "...probablement touché" [93] car il lui prie de remettre son rapport au secrétaire d'ambassade afin de faire le nécessaire pour acquérir la sculpture. Or, d'après l'autographe du 11 janvier 1820 de d'Urville déposé à la bibliothèque municipale de Caen, le Normand ne semble pas avoir été transporté de joie par cette conversation : "Lors de notre passage à Constantinople, M. l'Ambassadeur m'a questionné sur cette statue; je lui dis ce que j'en pensais et je remis à M. de Marcellus, secrétaire d'ambassade, la copie de la notice..." [94]. La découverte de la Vénus de Milo est due, comme nous l'avons démontré, d'un effort commun effectué par un paysan grec, des marins et des représentants de la France au Levant. Cependant, durant les années suivantes et grâce à trois facteurs principaux, d'Urville devient le seul bénéficiaire des honneurs liés à la trouvaille. D'abord, la Grèce s'étant soulevée peu après contre la Turquie, l'ardent philhellène Voutier prend du service dans l'armée de libération où il obtiendra le grade de colonel. Très occupé par ses nouvelles fonctions, il se distance d'une péripétie qui n'a pas à ses yeux une importance capitale, eu égard à ses nouvelles responsabilités. Ce n'est qu'en 1874 qu'il se décide d'écrire un opuscule dans lequel il tente de remettre l'église au milieu du village. Toutefois, sa narration intervient cinquante-quatre ans après les faits et le mythe de la découverte par d'Urville seul est trop puissant pour être ébranlé par le récit d'un obscur colonel à la retraite. Ensuite, le rapport de Dumont d'Urville, lu à l'Académie des sciences le 22 janvier 1821, officialise la découverte de la statue tout en l'associant au nom du navigateur. Ce dernier, recevant la médaille de chevalier de la Légion d'honneur quelques jours plus tard, est âgé de trente ans lors de la découverte et est déjà noté comme un officier de valeur. Il peut, sans aucun abus d'autorité, grandir l'importance de son intervention sans penser nuire à Voutier, subalterne de vingt-quatre ans à peine. En effet, la discipline dans la marine militaire de cette époque tient fortement compte des grades et une réclamation de Voutier aurait été très mal accueillie par ses chefs. Par la suite, la notoriété que d'Urville acquiert grâce à ses voyages subséquents, auréole son nom d'une gloire immortelle et cimente son nom à celui de la Vénus, au détriment des autres découvreurs. Enfin, l'accident tragique de chemin de fer qui met fin à la brillante carrière du navigateur, participe également à la mise en place des contrevérités sur l'origine de la sculpture. Comment ne pas être consterné par la catastrophe du 8 mai 1842 qui frappe toute la famille de d'Urville le jour de la fête du roi Louis-Philippe ? Dans un pays qui tente de rattraper son retard ferroviaire face à sa grande rivale l'Angleterre, le gigantesque brasier créé par l'incendie des dix-sept wagons en bois du convoi, émeut la population tout entière. Cette catastrophe frappant les esprits permet à l'amiral d'Urville de recevoir des funérailles nationales en présence des plus hautes personnalités de l'Etat. Personne n'oserait s'élever en de telles circonstances contre l'importance de ce grand marin pour le développement des sciences en général ou la découverte d'une statue en particulier. Cependant, si le Catalogue sommaire des marbres antiques de 1922 contient encore le nom de d'Urville dans sa notice concernant la Vénus [95], l'ouvrage sur la sculpture grecque du musée du Louvre qui paraît quarante ans plus tard, le laisse de côté : "Grâce à l'entremise de l'agent consulaire français Brest, elle fut achetée par le marquis de Rivière, ambassadeur de France à Constantinople, et offerte par lui au roi Louis XVIII." [96]. N'entrant pas dans la polémique pour départager les découvreurs, cet ouvrage note simplement que "...diverses légendes ont couru concernant les circonstances de la trouvaille"; renvoyant ainsi dos-à-dos les supporters d'Olivier Voutier et ceux de Jules Sébastien César Dumont d'Urville. Il ne faut pas oublier que d'Urville est chargé à bord de la Chevrette des travaux d'histoire naturelle et d'archéologie et ne fait que son devoir en mettant en évidence les qualités de la sculpture. Sa nomination au titre de chevalier de la Légion d'honneur, effectuée au terme de deux modestes campagnes dans le Levant, peut paraître excessive étant donné que deux officiers de vaisseau plus anciens que lui ne reçoivent pas cette distinction. De plus, l'achat d'objets d'art antiques s'inscrit dans un momentum historique au XIXe siècle qui provoque une course des pays occidentaux pour obtenir des vestiges de l'ancienne Grèce. Le prince de Bavière fait l'acquisition de l'amphithéâtre de marbre de Milo six ans auparavant et les agissements de lord Elgin envers les frises du Parthénon au bénéfice du British Museum avaient fait scandale. C'est la raison pour laquelle, les motifs de la décoration de d'Urville restent sujettes à caution; en particulier en raison de la disparition de son dossier aux archives de l'Ordre [97]. Les premières campagnes permettent à d'Urville de laisser son empreinte au sein de la Marine et des sociétés savantes. Cette marque, basée autant sur ses qualités intellectuelles que sur sa grande force de travail, force le respect de ses contemporains et le commandant Gauttier ne se trompait pas lorsqu'il "... considérait son subordonné comme un officier d'exception et [...] le lui témoignait de la façon la plus simple, en lui laissant entière liberté." [98]. 3.2 Le tour du monde de la Coquille 1822-1825 Entre les premiers embarquements de d'Urville en Méditerranée et ses commandements autour du monde, s'ouvre une parenthèse dans la carrière de l'illustre Normand : son tour du monde sur la Coquille. Après quelques jours de congé suivant son débarquement de la Chevrette, d'Urville est désigné pour servir au Dépôt des cartes de la Marine où il retrouve une ancienne connaissance : le lieutenant Duperrey. Invité à devenir membre de la société de Géographie dès sa fondation en 1821, d'Urville peut enfin rencontrer les plus grands savants de son temps : Cuvier, Arago, Geoffroy-Saint-Hilaire, Humboldt [99]. Temps de l'euphorie, ce séjour lui offre la possibilité de se faire un nom dans les milieux scientifiques de la capitale tout en préparant avec son ancien camarade un projet d'expédition scientifique autour du monde. Selon un biographe de d'Urville [100], une rencontre entre les deux hommes sur une terrasse des Tuileries décide de la vocation des deux officiers. S'engouffrant dans la brèche entrouverte par l'expédition de Freycinet (1817-1820) qui vient de rentrer avec un véritable trésor de collections en sciences naturelles, les deux lieutenants de vaisseau proposent au ministère de la Marine un projet d'expédition scientifique. Aux propositions de Duperrey d'étudier l'hydrographie, la physique et l'astronomie et de d'Urville de s'occuper de l'histoire naturelle, le ministre Portal accorde son approbation en ajoutant un but supplémentaire : étudier la possibilité de fonder un établissement pénitentiaire analogue à celui des Anglais de Port Jackson [101]. De plus, les deux officiers font des demandes si modérées de crédits et de matériel que le ministre de la Marine ne peut refuser. Voulant se contenter du minimum et comptant se nourrir de poisson et de noix de coco, d'Urville et Duperrey s'estiment heureux de "... pouvoir travailler utilement au progrès des sciences qui depuis longtemps font le charme de nos loisirs."[102]. Obtenant une solide gabare nommée la Coquille, Duperrey est nommé commandant de l'expédition, étant âgé de quatre ans de plus de d'Urville. L'équipage, composé de soixante-dix marins, est exceptionnellement jeune. De fait, seuls le commandant, son second et l'un des officiers sont âgés de plus de trente ans. Appareillant de Toulon en août 1822, la Coquille est de retour trois ans plus tard après un tour du monde sans incident notoire. Certes, le trajet suivit par l'expédition menant aux îles Tuamotu, Tahiti et Tonga est connu de longue date et ne réserve plus de surprises. Toutefois, conformément à l'évolution en cours des expéditions lointaines, l'accent est mis non plus sur les découvertes géographiques - il ne reste plus grand chose à découvrir - mais sur le développement des sciences par les observations à effectuer. Mises à part les caisses d'insectes et d'animaux en tous genres qui émerveillent Cuvier au retour de l'expédition, les nombreuses observations météorologiques effectuées quotidiennement ainsi que les mesures systématiques du magnétisme terrestre forment, avec les précieuses cartes dessinées par Duperrey, l'apport scientifique du voyage de la Coquille. A la rage de Dumont d'Urville, seul Duperrey est promu capitaine de frégate au retour de l'expédition. Utilisant toutes ses relations, d'Urville n'hésite pas à écrire directement au Ministre pour exiger un avancement égal à celui de son collègue. Ce n'est que sept mois plus tard qu'il obtient gain de cause, non sans garder de cette "injustice" un goût amer, source d'une rancune tenace envers son ancien camarade. Chapitre 4.0 Premier commandement de Dumont d'Urville : le voyage de l'Astrolabe 1826-1829 "Partir, où personne ne part... et puis lutter toujours, pour atteindre, l'inaccessible étoile; telle est ma quête..." J. Brel Moins de douze mois après le retour de l'expédition de la Coquille, Dumont d'Urville repart pour un voyage au long cours dans le Pacifique après avoir mis sur pied un programme d'explorations à la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Bretagne et la Louisiade. Ce programme, étudié et approuvé par le ministre de la Marine, permet à d'Urville promu capitaine de frégate en novembre 1825, d'obtenir l'autorisation de commander pour la première fois un voyage scientifique officiel. 4.1 Buts du voyage D'Urville tient à tout prix à se démarquer des travaux de son camarade et ancien supérieur Duperrey. Pour lui, la campagne de la Coquille "...avait offert à la Géographie des résultats vraiment estimables, dans la rectification de plusieurs positions jusqu'alors incertaines et souvent inexactes; mais elle n'avait produit aucune exploration suivie de côtes ou d'archipels..."[103]. Dès lors, afin de justifier son projet, d'Urville compte surpasser les résultats précédents et "...rendre à la Géographie des services plus signalés, surtout plus étendus, que le voyage de la Coquille. En effet, s'il y a du mérite à fixer d'une manière satisfaisante les positions en longitude de divers points du globe, en combinant avec les résultats qu'offrent les montres marines par le transport du temps,... sans doute il est plus important encore de tracer avec précision de longues étendues de côtes presque inconnues,... [et] cette dernière tâche est bien autrement difficile, autrement périlleuse que la première."[104]. Rendre des services "plus signalés" en entreprenant une "tâche autrement plus périlleuse", voilà le programme que se propose d'effectuer l'intrépide Normand. Cependant, dans cette immensité liquide, le temps des découvertes est passé. Peut-être reste-t-il encore quelques îles oubliées à la surface des mers mais toutes les grandes terres sont inventoriées. Le véritable but scientifique de l'expédition est de compléter la géographie des côtes imparfaitement figurées et surtout de préciser au moyen des chronomètres la position en longitude de quantités d'îles afin de parfaire la carte du globe. A son retour, d'Urville justifiera l'importance de sa nouvelle carte en suggérant qu'... "...il ne se passe pas d'années sans que des navires... ne viennent nous annoncer comme découvertes nouvelles des îles déjà connues. Il faut avouer... que ces erreurs étaient excusables... attendu que depuis long-temps aucune carte correcte et complète n'avait été publiée sur cette portion du globe. Ces divers motifs nous portèrent à dresser la carte générale de l'Océan... Plus de vingt îles prétendues nouvelles signalées depuis... par divers navigateurs, il n'en est pas une qui ne soit rapportée à quelqu'une de celle que nous avions tracées. Il est probable, au contraire, que nous en avions indiqué un certain nombre qui devront être rayées, après un examen plus sévère et de nouvelles recherches."[105]. Il importe donc de vérifier avec les moyens techniques les plus récents, les travaux des prédécesseurs pour raccorder entre elles les observations de toutes espèces effectuées depuis la reprise des voyages au long cours au milieu du siècle précédent. Cependant, si d'Urville s'inscrit dans une tradition de géographes voués essentiellement au développement de leur art, il tient fermement à noter ses différences avec le voyage précédent en changeant, notamment, le nom de son navire. 4.2 La Coquille-Astrolabe Au début de l'année 1826, des nouvelles de l'expédition malheureuse de La Pérouse arrivent en France. Un navigateur irlandais a découvert des vestiges du naufrage et saurait par les confidences des indigènes, dans quelle île l'accident aurait eu lieu[106]. Dès lors, aux motifs scientifiques s'en ajoute un autre, ainsi résumé par le ministre de la Marine Chabrol dans ses instructions au navigateur : "Un autre intérêt se rattachera à votre voyage si vous parvenez à découvrir les traces de La Pérouse et de ses compagnons d'infortune. Un capitaine... a dit avoir vu entre les mains des naturels d'une île... une croix de Saint-Louis et des médailles qui lui ont paru provenir du naufrage du célèbre navigateur dont la perte cause de si justes regrets. Sans doute ce n'est là qu'un bien faible motif d'espérance que des victimes de ce désastre existent encore; cependant, monsieur, vous donneriez à Sa Majesté une satisfaction bien vive si, après tant d'années de misère et d'exil, quelqu'un des malheureux naufragés était rendu par vous à sa patrie."[107]. Profitant de cette occasion de se démarquer de son voyage avec Duperrey, d'Urville demande au Ministre de rebaptiser son navire l'Astrolabe en souvenir de La Pérouse. Etant donné que la corvette prévue pour ce voyage n'était autre que la Coquille [108] de son ancien supérieur, ce changement de nom est à la fois une rupture avec Duperrey et un défi lancé au mauvais sort [109] qui avait frappé La Pérouse [110]. Gabare de 380 tonneaux, l'Astrolabe connaît une carrière remarquable. Effectuant trois voyages d'explorations lointaines, ce navire construit en 1811, naviguera jusqu'en 1851, soit quarante ans de navigations difficiles. Construit comme la Zélée par l'architecte naval Pestel, ce bâtiment de trente-deux mètres de long pour huit et demi de large porte plus de mille mètres carrés de toile. Cependant, si la mise sur pied de l'expédition s'effectue en des temps records, les premières difficultés surgissent lors de la réception des instruments de mesure qui ne correspondent pas au rigorisme imposé par le chef du voyage. 4.3 Les instruments de mesure de l'expédition L'équipement du navire en appareils de mesure est à la base d'un rapport houleux qui s'instaure entre le commandement de l'expédition et un des plus grands scientifiques français de l'époque : l'astronome et physicien François Arago. Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, Arago avait fait l'éloge des travaux effectués sur la Coquille lors du voyage précédent. Toutefois, l'Académie exprima le regret que les températures de l'air et de l'eau n'aient pas été relevées au cours de ce voyage et manifesta le désir qu'elles soient exécutées dans les expéditions subséquentes. Afin de satisfaire ce voeu, d'Urville prévient l'Académie longtemps à l'avance de ses projets d'armement de l'Astrolabe et rend visite personnellement à "...M. Arago pour lui offrir mes services dans l'intérêt de la science, et réclamer ses instructions particulières, promettant de m'y conformer avec tout le soin possible.". Toutefois, "... après de longs retards et divers obstacles dont j'ai toujours ignoré la cause et l'origine, quatre thermomètres à maxima et minima, exécutés par Bunten, arrivèrent à Toulon; mais comme leur emballage avait été mal soigné, ils arrivèrent tous brisés... Alors, j'en demandai d'autres... [et] retardai de deux jours le départ de l'Astrolabe."[111]. De plus, à côté de cette apparente légèreté vouée à l'emballage des précieux thermomètres par l'Académie des sciences, d'Urville met en doute la sincérité scientifique de cette dernière. Elle "...semblait attacher un vif intérêt à ce qui la température de la mer fût soigneusement observée à diverses profondeurs." [112]. L'emploi du conditionnel dans la déclaration de d'Urville, bien qu'il soit d'usage courant au XVIIIe siècle pour reporter le discours d'autrui, laisse transparaître un des motifs de la publication au retour du voyage de l'ouvrage complémentaire au récit du voyage proprement dit, le Voyage de découvertes de l'Astrolabe, contenant les tables des mesures de température effectuées. Selon l'auteur : "A mon retour, je m'empressai de communiquer à M. Arago le résultat de ces expériences si chèrement acquises. [!] Il en parut d'abord enchanté, et me fit des compliments sur la constance que j'avais apportée à leur exécution, il promit même de rédiger un mémoire important sur ces observations. J'attendis deux années entières ce travail; à la fin, convaincu que nos expériences avaient été condamnées à un oubli définitif, je pris le parti de les publier... J'ai été forcé de donner ces explications au lecteur, pour lui faire comprendre pour quel hasard, au lieu du savant et profond mémoire qu'il attendait sans doute d'un homme comme M. Arago, il ne trouvera que l'essai que je pourrai lui offrir. Au moins, il me pardonnera cette fâcheuse substitution, quand il saura qu'elle a été involontaire de ma part. J'espère qu'au contraire il me saura quelque gré d'avoir surmonté le sentiment de répugnance que m'inspirait la conscience de mon infériorité, pour remplir cette triste lacune, et lui rendre compte de mon mieux de mes observations."[113]. Une telle attaque envers l'illustre savant français n'est pas de nature à réconcilier les deux opposants et la brouille qui s'ensuit durera jusqu'en 1842, date du décès du navigateur. Toutefois, si les thermomètres et la publication des résultats des mesures sont sujet à controverse, les chronomètres ne demeurent pas en reste. En prévenant l'Académie du départ de l'Astrolabe, d'Urville demande également à Arago "...d'avoir la bonté de surveiller la préparation des instruments qu'il devait emmener...". Toutefois, si le transport à Toulon des premiers instruments de mesure des températures leur a été fatal, les montres marines sur lesquelles toute l'expédition repose ne "...furent, selon d'Urville, que des breloques détraquées..."[114]. Le fait est que sur quatre chronomètres de marine mis à disposition de l'expédition, deux cesseront de fonctionner en cours de route. Le premier, en accélérant de manière extraordinaire, le rend impropre à toute utilisation scientifique. Le second, après une salve de vingt et un coups de canon le 25 septembre 1827, s'arrête tout à coup. Comme le présente en annexe le "tableau de la marche diurne des montres", la révolution apportée par les chronomètres depuis le XVIIIe siècle est loin d'être achevée. Même dans les cas où les gardes-temps ne s'arrêtent pas totalement, leur marche contient des erreurs. Celles-ci, différentes selon le roulis du navire, le degré de viscosité de l'huile de graissage des rouages, la chaleur ambiante ou les chocs éventuels, diffèrent selon une loi inconnue. Le retard ou l'avance des montres ne peuvent être appréciées qu'avec des mesures astronomiques effectuées à terre à l'issue d'une traversée. Etant donné qu'il est plus aisé de s'arrêter dans des escales dont la position a déjà été calculée avec précision que sur des îlots nouvellement découverts, les navigateurs prennent l'habitude de s'arrêter en des lieux comme Tahiti dont l'exactitude de la position est certifiée. Enfin, si les thermomètres et chronomètres fournis par l'Académie des sciences donnent à d'Urville matière à réclamation, les compas de relèvement de l'intensité de la déclinaison magnétique posent également problème. Mettant en avant les efforts de son officier chargé d'exécuter les observations magnétiques durant le voyage, d'Urville en profite pour critiquer à nouveau Arago : "Un appareil très mesquin nous fut remis par M. Arago... et j'avais craint plus d'une fois que les soins de M. Lottin n'eussent été en pure perte pour les sciences..."[115]. Si de telles accusations envers un savant respecté par ses pairs n'étaient pas de nature à hausser l'estime de d'Urville dans les milieux scientifiques, il est toutefois étrange qu'elles paraissent dans un ouvrage publié aux frais de l'Etat comme l'est le Voyage de découvertes. La querelle entre les deux hommes basée sur les instruments de mesure jugés défectueux par d'Urville, peut également être interprétée comme une manifestation de mauvaise humeur de la part du navigateur. En effet, Arago se défendra de s'être désintéressé de l'expédition et stipulera que l'Académie des sciences n'est pas tenue de fournir les bateaux en instruments scientifiques et que cette tâche incombe au ministère de la Marine. Quoi qu'il en soit, les hostilités sont ouvertes entre les deux personnages et ni l'un ni l'autre ne fera de cadeaux à son adversaire durant les années qui suivront le retour de l'Astrolabe. 4.4 Les résultats du voyage En considération des instructions reçues par d'Urville du ministre Chabrol, les résultats de l'expédition peuvent être considérés comme remarquables. Allant bien au-delà d'un "simple" voyage de rectifications géographiques et de recherche d'un prédécesseur disparu depuis presque quarante ans, d'Urville revient en France avec un butin scientifique qui dépasse toute espérance. En effet, l'amiral Rossel, directeur des Plans des Cartes et ancien compagnon de d'Entrecasteaux, vante le mérite des cinquante-trois plans dessinés par les membres de l'expédition [116]. En ce qui concerne les sciences naturelles, le grand naturaliste Cuvier remercie le navigateur pour ses collections de plantes et de dépouilles d'animaux de tous genres rapportées dans un rapport à l'Académie des sciences daté du 20 octobre 1829 [117]. Plus de cinq cents espèces d'insectes ont été récoltées; cinq cent vingt-cinq planches contenant trois mille trois cent cinquante dessins concernant mille deux cent soixante-trois animaux dessinés; neuf cents échantillons de roches rassemblés; et presque mille six cents spécimens de végétaux y compris des espèces inconnues jusqu'alors provenant de toute l'Océanie sont ramenés en France [118]. En ce qui concerne la botanique et la géologie, Cordier et Desfontaines de l'Académie se déclarent satisfaits des résultats obtenus. Cependant, en ce qui concerne les mesures du magnétisme terrestre et les travaux de physique telle que les mesures des températures océanes, l'Académie des sciences reste muette. Il est vrai qu'Arago est le responsable de ces domaines et que son différend avec d'Urville n'est pas de nature à stimuler une reconnaissance objective et rapide de la valeur de ces travaux. Toutefois, à côté des collections importantes d'objets d'histoire naturelle qui ne manquent pas de faire progresser ce domaine, l'apport scientifique du voyage de d'Urville, semble se concentrer autour de trois sujets : la division classique de l'Océanie, la nomenclature autochtone des noms de lieux et la théorie des températures. 4.4.1 La division classique de l'Océan En se basant sur les observations effectuées durant son voyage sur la Coquille et sur l'Astrolabe, d'Urville fonde une nomenclature de l'Océanie organisée autour des quatre grandes parties de peuplement qui la composent : la Polynésie, la Mélanésie, la Malaisie et la Micronésie. Tous les voyageurs ayant parcouru l'océan Pacifique ont remarqué selon d'Urville que l'espèce humaine se divise dans cette partie du globe en deux types humains[119]. D'un côté, une race de taille moyenne, à la peau jaunâtre, aux cheveux lisses le plus souvent bruns ou noirs, "...avec des formes assez régulières et des membres bien proportionnés." [120]. De l'autre, une race d'un teint beaucoup plus foncé, aux cheveux crépus, "...aux traits disgracieux, aux formes peu agréables, [et aux] ...extrémités souvent grêles et disproportionnées." [121]. Ces hommes, a contrario des autres vivant souvent en corps de nation et quelques fois organisés en monarchie, sont dans un état se rapprochant "toujours de la barbarie". Au sein du premier type humain, trois distinctions sont apparentes pour d'Urville. Tout d'abord, les peuplades "cuivrées" vivant dans le Pacifique oriental de Hawaii en Nouvelle-Zélande et des îles Tonga et Samoa proviennent de la même souche car elles possédent les mêmes formes de langage, une civilisation relativement avancée et des lois de l'étiquette développées. "[Ensuite,] ...la seconde section de la race cuivrée comprend les tribus disséminées sur cette chaîne de petites îles qui ont reçu des navigateurs les noms de Gilbert, Marshall, Carolines, Mariannes, jusqu'aux îles Pelew inclusivement. Ces insulaires diffèrent généralement de ceux de l'Orient par une couleur de peau un peu rembrunie, par un visage plus effilé et des formes plus sveltes. ...Leur langue, qui varie sensiblement dans ses dialectes d'un archipel à l'autre, diffère beaucoup de celle qui est commune aux hommes de la section précédente."[122]. Enfin, à côté de ces deux premières divisions au sein des peuplades "cuivrées", une troisième est visible pour d'Urville : celle qui occupe les îles de la Sonde, les Moluques, les Philippines et qui correspond à la race malaisienne. Ces considérations, "...fondées sur les caractères moraux et physiques des peuples, nous ont naturellement conduit à partager l'Océanie en quatre divisions principales et fondamentales". 1) "L'Océanie orientale, à laquelle nous conservons le nom de Polynésie, déjà adopté par divers géographes...". 2) "L'Océanie boréale, que nous nommons Micronésie, parce qu'elle ne contient que des petites îles, et dont les peuples diffèrent des précédents par leurs moeurs, leur gouvernement et leur langage.". 3) "L'Océanie occidentale, ou Malaisie, étant entendu que ces contrées entre l'Australie et les Philippines ne sont peuplées que par des hommes d'origine malaise.". 4) "L'Océanie méridionale ...à laquelle nous imposons le nom de Mélanésie". Dans cette division, les hommes sont de teint très foncé et n'ont pour d'Urville point de gouvernement ou de lois. De plus, "...ces peuplades, de l'Australie aux îles Viti ont, dit-il, une aversion profonde pour les Européens."[123]. Cette division en quatre parties de l'Océanie a l'avantage pour son auteur de n'être point arbitraire mais basée sur "des considérations positives". En accord avec les idées d'Auguste Comte, d'Urville tend à concevoir le monde non plus d'une manière théologique ou métaphysique mais avec une optique foncièrement matérielle, fondée sur les caractères somatiques et sociaux des hommes. Bien qu'il soit difficile de saisir l'influence de ce grand positiviste sur le navigateur, il n'est pas impossible que les Cours de philosophie positive commencés en 1830 aient eu quelque effet dans l'élaboration de la division classique de l'Océanie par d'Urville. Dévoilant le résultat de ses recherches au cours de la lecture d'un Mémoire à la société de Géographie dans sa séance du 27 décembre 1831 [124], Dumont d'Urville imprime sa marque sur toutes les mappemondes futures. En acceptant la division instaurée par le navigateur, les Occidentaux choisissent de respecter l' "Autre" en reconnaissant ses différences, dans la plus pure tradition de l'Europe éclairée du XVIIIe siècle [125]. 4.4.2 La nomenclature autochtone des lieux Conformément à ses observations des moeurs et des langages de l'Océanie, Dumont d'Urville est en rupture avec un usage traditionnel chez les découvreurs : celui de donner un nom nouveau à chaque île "découverte". Faiseur de cartes, d'Urville se doit d'adopter lors de son voyage, un parti définitif pour la nomenclature. Après réflexion, il choisit celui qui lui paraît à la fois le plus convenable et le plus respectable. "Toutes les fois que nous pûmes nous procurer le nom employé par les naturels, nous n'hésitâmes point à l'adopter et à le substituer à tous ceux qui avaient été proposés, quel que fût le navigateur dont ils provenaient. Mais lorsqu'il nous fut impossible de connaître les noms des indigènes, alors nous conservâmes religieusement le nom du premier découvreur, ...et nous ne nous sommes permis d'imposer des dénominations personnelles qu'aux lieux dont les noms primitifs nous étaient inconnus, et qui n'en avaient reçu aucun des navigateurs précédens. (sic)"[126]. Pour d'Urville, les noms autochtones sont une source inépuisable de renseignements pour les Occidentaux. Ses alphabets et dictionnaires de langues diverses inédits dormant aux Archives nationales de la Marine à Versailles, témoignent de l'importance des langues autochtones pour le grand navigateur et mériteraient une plus ample publicité. Les noms indigènes sont des traces respectables de la population primitive "...et peut-être dans un siècle ou deux en seront-ils l'unique vestige, quand la civilisation européenne aura tout envahi et tout renouvelé."[127]. L'héritage rousseauiste de d'Urville est patent dans de telles assertions mais son soucis de marin de la Royale chargé de rectifier les cartes actuelles transparaît peut-être plus fortement encore. En effet, le programme de l'Astrolabe comprend avant tout un travail de "balayage" de l'Océan afin de vérifier, à l'aide de ses chronomètres de marine, l'existence ou non de certaines îles présupposées et de rectifier leurs positions. La décision d'opter d'abord pour le nom indigène d'un lieu avant celui donné par le découvreur, s'il diminue l'importance de ses prédécesseurs, reconnaît aux peuplades habitant ces régions le droit le plus fondamental : celui d'exister. Ainsi, comme pour la nomenclature des quatre régions de l'Océanie, celle des lieux adoptée par Dumont d'Urville cherche non seulement à simplifier le travail de ses successeurs mais fait également entrer cette partie du monde au sein d'une géographie respectueuse des groupes sociaux peuplant le vaste océan. 4.4.3 Les mesures de température On se souvient que d'Urville avait mis en cause dès le départ du voyage la qualité des instruments de mesure livrés par le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. De surcroît, les mesures du magnétisme terrestre et de température n'ayant pas été prises en compte assez rapidement par Arago au retour du voyage, d'Urville décide de les publier aux frais du ministère de la Marine en 1833. L'ouvrage, le Voyage de découvertes de l'Astrolabe, constitue donc le complément scientifique aux vingt-quatre volumes in-octavo du récit de voyage proprement dit. Rempli de tableaux de mesures, le Voyage de découvertes ne cherche pas à atteindre un grand public mais s'adresse aux spécialistes "...qui désirent les consulter pour leurs travaux particuliers."[128]. Divisé en trois parties, cet ouvrage de référence s'occupe tout d'abord des observations météorologiques. Ensuite, les travaux hydrographiques sont pris en considération et enfin, la troisième partie traite des observations de physique sur lesquelles d'Urville tient à focaliser plus longuement l'attention de ses lecteurs. Ce dernier chapitre se veut complet. Non seulement d'Urville présente ses propres résultats sous la forme de tableaux [129], mais il les introduit par la présentation des observations antérieures effectuées par ses prédécesseurs. Cherchant à "remplir [la] ...triste lacune" laissée par Arago par son silence, Dumont d'Urville propose une théorie scientifique sur la température des océans basée sur ses observations. Cette démarche, s'écartant du travail quotidien du marin traditionnel, démarque d'Urville et le place au sein de la famille des "marins-savants" du premier XIXe siècle, héritiers directs des découvreurs pluridisciplinaires des Lumières. Toutefois, si le lien avec la traditionnelle "marine-savante" du siècle précédent semble évident, le modernisme de Dumont d'Urville éclate également. En proposant une hypothèse se basant sur l'expérience, en l'occurrence ses mesures de température, le navigateur fait oeuvre positive. Sans être à même de connaître l'influence comtienne sur d'Urville, il est clair que la manière de raisonner repose sur une approche positiviste. Comme Pierre Duhem le mettra en forme soixante ans plus tard, pour d'Urville "une expérience de Physique n'est pas simplement l'observation d'un phénomène; elle est, en outre, l'interprétation théorique de ce phénomène." [130]. En présentant tout d'abord les résultats effectués par Forster lors de l'expédition de Cook en 1772-1773, d'Urville laisse entrevoir les premiers éléments de sa théorie. Forster, dit-il, malgré des mesures ne s'étendant pas au-delà de cent douze brasses de profondeur, "...crut déjà pouvoir en conclure que sous la ligne et près des tropiques, l'eau est plus froide à une grande profondeur qu'à la surface dans les hautes latitudes."[131]. En parallèle des expériences de Forster, d'Urville mentionne celles effectuées en 1773 par le capitaine Phipps dans des latitudes arctiques très élevées, prouvant que les abîmes de la mer ne pouvaient varier dans leur température de - 3,5deg. et + 4,5deg. centigrades. Ensuite, d'Urville présente les expériences effectuées par de Saussure dans les lacs suisses et celles de l'expédition Baudin du début du siècle qui permettent de révéler le "...fait du décroissement de température dans les eaux de la mer, à mesure qu'on s'éloigne de leur surface..."[132]. Se basant sur un total de quatre cent vingt et une observations de températures océanes, Dumont d'Urville présente alors les trois principes fondamentaux sur lesquels se fonde sa théorie : "1) Dans toute l'étendue des mers libres, la température générale des couches inférieures à des profondeurs de 600 brasses et plus, est presque constante et très voisine d'une limite comprise entre 4 et 5deg., qui nous paraît être 4deg.,4. 2) Cette température se modifie progressivement à mesure qu'on s'élève vers la surface, pour se rapprocher de la température des eaux superficielles relatives à la saison de l'observation. 3) Dans la zone la plus rapprochée de l'équateur,..., une cause particulière semble occasioner (sic), dans les couches sous-marines jusqu'à 100 brasses, un refroidissement plus brusque qu'on n'aurait lieu de l'attendre."[133]. Toutefois, ces observations et interprétations des phénomènes de variations de température du Grand Océan selon les profondeurs, ne suffisent pas à Dumont d'Urville qui cherche à englober ces lois au sein d'un système théorique : "On sera curieux, dit-il, de savoir quelle est mon opinion sur les causes qui peuvent produire ces divers phénomènes : car l'esprit humain veut à tout prix des explications; il hasardera les suppositions les plus bizarres, les hypothèses les plus téméraires, plutôt que d'observer des faits, sans chercher à s'enquérir de leur cause. Je céderai donc à la faiblesse commune à tous..."[134]. A cheval entre la science irrationnelle que les Encyclopédistes condamnaient et celle basée sur l'expérience considérée comme l'unique critérium de vérité, d'Urville n'a pas le choix. Ne pouvant laisser là ses mesures de température, il cède à la curiosité de l'esprit humain qui "veut à tout prix des explications". Malgré le manque de moyens technologiques à même de répondre aux questions posées par ces variations de chaleur, d'Urville se hasarde à donner une explication basée sur son seul jugement; en prévenant toutefois ses lecteurs qu'il a conscience de la gageure d'une telle entreprise : "Je le ferai avec d'autant plus de confiance, que je n'attache aucune importance à mes opinions, et que je suis disposé d'avance à leur substituer celles qui me sembleront mieux fondées."[135]. "Dans mon hypothèse, toute la masse des eaux ...qui aura... atteint la température de 4deg.,4, ...aura dû se déposer vers le fond du bassin océanien. Une fois parvenue à cette limite, et dès que la couche supérieure sera devenue assez épaisse pour que l'inférieure ne puisse plus être exposée ...à aucune élévation de température, elle devra rester continuellement au même degré de chaleur. ...Seulement la masse des eaux équatoriales, constamment quoique lentement diminuée à la surface par l'effet considérable de la vaporisation, peut, à mon avis, donner lieu à un mouvement ascensionnel, lent et continuel, des eaux inférieures vers la surface. A leur tour, celles du fond ainsi déplacées seraient remplacées par les ondes qui arriveraient des latitudes plus élevées, également établies à la température de 4deg.,4. [Donc,] ...ce serait plutôt un transfert, presque en masse et très lent, des eaux profondes des hautes latitudes vers l'équateur."[136]. Conscient que cette théorie des températures s'oppose avec celle généralement admise du feu central [137], d'Urville reconnaît que ces questions lui paraissent tout à fait insolubles pour sa "faible intelligence". Cherchant à relancer l'intérêt du physicien Arago pour ses travaux, d'Urville laisse le soin "...à ceux que la renommée a proclamés les chefs de la physique et de la géologie" de répondre à ces questions. En conclusion de son ouvrage, émettant le voeu que les gouvernements de l'Europe continuent d'encourager "les grandes expéditions dont le but est la reconnaissance complète et définitive de notre globe", d'Urville prépare l'avenir conscient que "les révolutions passent mais [que] les faits acquis à la science restent là pour honorer la mémoire de ceux qui ont contribué à leur conquête. Ce sont autant de jalons plantés par les générations pour attester le perfectionnement progressif de l'esprit humain."[138]. 2.4.4 Conclusion du voyage Le voyage de l'Astrolabe se situe entre passé et avenir. Héritier des explorateurs du XVIIIe siècle, d'Urville conserve maints traits caractéristiques de cette période. D'un côté, ses navires ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux utilisés par Bougainville dès 1763. D'un autre, la forme utilisée pour son supplément au Voyage, le Voyage de découvertes, utilise le format de l'in-quarto qui "...du reste est celle qui avait été employée pour cet objet par la plupart des navigateurs qui nous ont précédés."[139]. De plus, la motivation première de cette expédition est également la science et l'avance des connaissances humaines. Comme ses prédécesseurs, c'est le chef de l'expédition qui propose à l'Etat un programme d'explorations et bien que les instructions du ministre de la Marine modifient sensiblement le projet initial, d'Urville n'en reste pas moins l'initiateur principal. Cependant, si son voyage fleure bon le siècle précédent, les nouveautés apportées par le chef de l'expédition créent une rupture avec le passé. Tout d'abord, il n'y a point de scientifiques civils à bord. Les expériences malheureuses de La Pérouse, d'Entrecasteaux et Baudin confortent d'Urville dans sa décision de ne choisir que des hommes issus de la Royale dont les capacités leur permettent d'effectuer les expériences scientifiques, sans pour autant oublier la discipline militaire nécessaire au bon déroulement des voyages d'explorations. A ce propos, d'Urville choisit comme officiers ses anciens compagnons "Jacquinot, Lottin et Gessien qui avaient fait leurs classes sur la Chevrette sous la direction de Gauttier L'Horloge, et dans la marine cela valait un brevet de capacité."[140]. Quant aux résultats du voyage, nous pensons avoir mis en évidence l'importance des collections rapportées par l'expédition pour les sciences naturelles. Cependant, il ne faut pas oublier que les instructions de Chabrol imposent un second but à l'expédition de d'Urville : retrouver le lieu du naufrage de La Pérouse. Ce but a été pleinement atteint par le navigateur qui suit à partir de son escale à Hobart, les traces de l'Irlandais Dillon ayant retrouvé quelques mois auparavant des objets appartenant à l'expédition malheureuse. De fil en aiguille, d'Urville réussit à localiser l'île de la Recherche de d'Entrecasteaux et la barrière de corail sur laquelle les deux corvettes françaises s'étaient fracassées. Rebaptisant l'île Vanikoro selon ses convictions nomenclaturistes pro-océaniennes, d'Urville profite aussi de retirer du fond marin "...quelques débris propres à constater notre découverte d'une manière authentique."[141]. Les récits de voyage de l'explorateur et les biographes [142] du marin insistent sur cette découverte, traduisant ainsi l'importance que la société française attachait à cette expédition. Toutefois, Dumont d'Urville est le second à se rendre sur les lieux du naufrage et sans Dillon le pays aurait dû attendre encore de nombreuses années avant que le mystère de La Pérouse ne puisse être élucidé. C'est à Dillon que revient donc de juste droit les honneurs de la découverte [143] et d'Urville ne fait que vérifier un fait déjà prouvé par les vestiges rapportés par l'Irlandais. In fine, ce sont les apports scientifiques de la division classique de l'Océanie, de la nomenclature des lieux et de la théorie des températures qui nous semblent constituer l'importance du voyage de l'Astrolabe. Au-delà des minutieux détails relatés dans les récits du voyage, ces trois éléments ressortent comme l'aspect le plus durable du passage de d'Urville dans le Grand Océan entre 1826 et 1829. Chapitre 5.0 Second commandement de Dumont d'Urville : le voyage de l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840 "Roads that are straight and that end at a gate are not half existing to follow, as are long roads that twist and are lost in the mist, like the path of the south-flying swallow." R. Scott 5.1 La genèse de l'expédition au pôle Sud et dans l'Océanie 1837-1840 En 1836, la publication du Voyage de l'Astrolabe vient d'être achevée. Vingt-quatre volumes réunissent le récit historique proprement dit ainsi que les annexes scientifiques. Cette oeuvre magistrale est accompagnée d'une édition en deux volumes de grand format, qui a aussitôt beaucoup de succès : le Voyage pittoresque autour du monde. Ce dernier ouvrage, dont Louis Reybaud [144] assure la rédaction sous la direction de d'Urville, consiste en une édition plus accessible au grand public que le récit officiel. A côté de ces activités, le navigateur écrit pour des revues et rédige maints articles et mémoires pour la société de Géographie et l'Académie des sciences. Cependant, au lieu de pouvoir rester à Paris où l'appellent ses goûts et ses études, d'Urville est "par ordre pur et simple" [145] renvoyé à Toulon. Dans cette ville méditerranéenne, le navigateur retrouve le calme de sa propriété La Juliade et la routine d'un service sans responsabilité lui laissant le loisir d'échafauder un nouveau projet d'explorations. Dernier espoir des découvreurs, le Grand Océan devient dans les années trente du XIXe siècle, un nouveau centre politique et économique qui attire de plus en plus les nations européennes. De puis la fin des guerres napoléoniennes, les grands voyages scientifiques avec arrières-pensées politico-économiques sont à la mode et de nombreux émules de Cook en profitent pour sillonner les mers avec la bénédiction de leurs gouvernements et des académies savantes. King et Fitzroy qui emmène Darwin pour les Anglais, Kotzebue et Lutke chez les Russes, les Français Freycinet, Bougainville fils, Duperrey et d'Urville lui-même sont engagés dans la même activité. Toutefois, si l'objectif proclamé de ces expéditions reste la science, le soucis non dissimulé de s'établir les premiers sur de nouveaux territoires pouvant un jour devenir des colonies, se mêle graduellement aux instructions des navigateurs. Du fond de son "exil intérieur" toulonnais, Dumont d'Urville propose à Rosamel ministre de la Marine un programme d'explorations modeste et financièrement acceptable. Se contentant d'un seul navire, le navigateur base son projet sur trois éléments importants. Tout d'abord, il prévoit de mener son expédition par le détroit de Magellan qu'aucun autre Français n'avait emprunté officiellement depuis Louis Antoine de Bougainville. Ensuite, l'archipel des îles Salomon peut encore offrir un vaste champ d'explorations, de même que les Fiji et les îles Banks dont seuls les noms sont à peu près connus. Enfin, à côté de ces deux premiers motifs purement hydrographiques et géographiques, d'Urville ajoute un troisième élément plus émotionnel que pratique : tenter de retrouver - après cinquante ans ! - quelque trace des Français rescapés de la catastrophe de La Pérouse. En effet, on supposait que des mousses ou des jeunes marins pouvaient avoir été détenus dans la montagne de Vanikoro par des indigènes... En fait, bien que l'Astrolabe de de Langle, second de La Pérouse, ait été retrouvé par Dillon dans les années précédentes, le navire de La Pérouse, la Boussole, avait aussi coulé sur les récifs durant la tempête fatale. Cependant, il faudra attendre 1964 et des recherches franco-australiennes pour éclaircir totalement les circonstances de la catastrophe[146]. Nonobstant les chances infinitésimales de retrouver des survivants, d'Urville joue sur la fibre sensible des membres du gouvernement attachés à la Marine - souvent issus des voyages d'explorations précédents, d'ailleurs - pour justifier son projet. Un mois à peine se passe entre la proposition de d'Urville et la réponse positive du ministère. A la joie du navigateur s'ajoute la stupéfaction de voir que le roi Louis-Philippe s'est personnellement intéressé à l'opération et impose une modification dans le plan du programme. Féru de géographie le roi lui-même suggère, comme son prédécesseur Louis XVI l'avait fait avec La Pérouse [147], une destination particulière : le continent Antarctique. Il ne fait aucun doute que le roi-citoyen a lu les récits des expéditions récentes de Morell et Weddell dans cette partie du monde ainsi que des pêcheurs de phoques de Patagonie qui font référence au continent Antarctique, lointain héritier de la mythique Terra Incognita des Grandes Découvertes. Cherchant à en savoir plus, Dumont d'Urville effectue un voyage documentaire en Angleterre afin de se tenir au courant des dernières découvertes de ses concurrents. Or, s'il est reçu par les sociétés savantes où ses travaux sont connus et appréciés, il n'obtient aucun renseignement supplémentaire de ses collègues anglais. Tout au long du XIXe siècle et même durant une bonne partie du XXe siècle, existe ce qu'il convient d'appeler le syndrome des îles fantômes des mers australes. Des apparitions et disparitions de terres étaient sans cesse annoncées sans qu'aucune vérification scientifique soit effectuée. Certaines de ces îles n'ont jamais existé et leur signalement n'est dû qu'à des erreurs d'interprétation. Le mauvais temps qui règne dans ces régions permet la confusion entre nuages, iceberg et terres recouvertes de glace. Souvent le fait de chasseurs de phoques, ces découvertes restent difficilement retrouvables à cause de l'imprécision de leurs positions. De plus, cherchant à sauvegarder leurs territoires de chasse tout en désirant entrer dans la postérité, ces navigateurs sont tiraillés entre la publication de leurs explorations et le besoin de préserver leur gagne-pain par la présentation de positions volontairement erronées. Même quand ces positions sont justes, les chasseurs sont rarement en mesure de retrouver une île trop éloignée à cause de l'imprécision de leur navigation. Plusieurs échecs successifs accréditent ainsi l'idée d'îles fantômes, renforcée par des annonces épisodiques de capitaines affirmant avoir vu l'une ou l'autre. D'Urville n'est pas un explorateur polaire dans l'âme. Lui aussi, en grand connaisseur des récits de voyage de ses prédécesseurs, est conscient qu'une terre glacée a été découverte par le Russe Bellingshausen en 1820 et connaît les relations des chasseurs de phoques de cette partie du globe ayant besoin de côtes pour excercer leur métier et qui descendent toujours plus au sud, poussés par la diminution des colonies d'animaux du continent Américain. Cependant, loin de rechercher les étendues glacées, il préfère les chaleurs tropicales. "Poursuivi par l'exemple de Cook, je songeais souvent aux trois voyages de ce célèbre navigateur et j'étais tourmenté presque chaque nuit par des songes où je me figurais être en train d'exécuter ma troisième campagne autour du monde. Ces songes avaient cela de bizarre qu'ils avaient presque toujours pour but de m'avancer vers le pôle et finissaient d'ordinaire par engager mon navire, qui était constamment l'Astrolabe, dans des canaux étroits, des bas-fonds ou même des défilés en terre ferme où je voulais encore le faire naviguer. Pourtant, tout en admirant les courageux efforts de Cook, de Ross, de Parry au travers des glaces, je n'avais jamais ambitionné l'honneur de marcher sur leurs traces; au contraire j'avais toujours déclarer que j'aurais préféré trois années de navigation sous le ciel embrasé des contrées équatoriales à deux mois de séjour dans les régions glaciales. Un fait non moins singulier, c'est que ces songes importuns cessèrent aussitôt que la campagne au pôle fut décidée et il n'en fut plus jamais question pour moi."[148]. Proches d'une antique conception des songes, les rêves du philhellène d'Urville ont presque valeur de vérité. Pourtant, comment ne pas considérer que cette interprétation à posteriori de l'inconscient du navigateur n'a pas été créée pour sacrifier à la mode du jour ? En effet, Weddell vient de découvrir l'énorme baie qui porte son nom, les Etats-Unis se préparent à envoyer l'importante expédition de six navires de Wilkes [149] et le gouvernement britannique, poussé par la Royal Society, est sur le point d'organiser le voyage de la Terror et de l'Erebus, sous le commandement de James Ross. De plus, avant même que Ross et Wilkes aient pu gagner le continent Antarctique, le capitaine Balleny découvre la Terre de Sabrina. L'ancienne rivalité scientifique entre nations occidentales se trouve fortement ravivée lors de la préparation du voyage de d'Urville et seule l'aire géographique change, pour se concentrer autour des derniers parages inconnus de notre planète : le pôle Sud. Converti à l'exploration antarctique par la volonté du souverain, le navigateur s'identifie "sans retour avec la volonté du Roi"[150]malgré sa préférence pour les mers chaudes. Le voyage que se propose d'effectuer d'Urville, n'est donc pas exceptionnel mais prend place parmi d'autres en cours ou en préparation. Cependant, les antécédents du navigateur, ses mobiles scientifiques connus du monde savant comme de la Marine nationale, donne à son programme un prestige supplémentaire que n'ont pas les missions de protection des intérêts nationaux effectuées par la France durant la même période. En effet, Vaillant sur la Bonite se trouve au même moment dans les mers du Chine et Cécille sur l'Héroïne part pour la Tasmanie et la Patagonie apporter un soutien aux dizaines de navires baleiniers français évoluant dans ces eaux australes. De plus, Laplace sur l'Artémise et Dupetit-Thouars sur la Vénus [151]se préparent pour une mission dans le Pacifique dont les instructions sont secrètes mais dont la finalité tend à prendre possession officiellement de territoires pouvant servir de points de relâche pour les navires du pays. Les instructions ministérielles acceptent le plan de Dumont d'Urville modifié par le roi, tout en appuyant particulièrement sur la nécessité de protéger le commerce et de trouver des ressources pour les baleiniers [152]. Hybride, cette expédition se veut donc avant tout scientifique mais tente de joindre l'utile à l'agréable en profitant de cette présence française supplémentaire pour "montrer le pavillon" à une foule de peuplades disséminées sur un grand nombre d'îles. Aux côtés de la fidèle Astrolabe, la Zélée participe également au voyage. Gabare de 300 tonneaux construite vingt-cinq ans auparavant, la Zélée reçoit comme commandant Charles Jacquinot, dernier fidèle de d'Urville. Seuls civils au sein de l'équipage de l'Astrolabe se trouvent l'hydrographe Clément Vincendon-Dumoulin et Pierre Dumoutier, un phrénologiste dont la présence à bord dénote la fascination croissante qu'exerce cette nouvelle discipline sur le chef de l'expédition. 5.2 Contestation de l'expédition Une fois l'expédition décidée par le ministère de la Marine, elle est rapidement mise sur pied grâce aux efforts des deux capitaines. Toutefois, malgré les intérêts scientifiques, politiques et commerciaux en jeux, le voyage connaît une vive contestation. De tous les voyages au long cours organisés par la France, le second voyage de d'Urville est sans doute celui le plus controversé avant son départ [153]. Pourtant, peu d'explorations avant celle-là, ont été aussi fructueuses et aucune, par la suite, ne le sera. En fait, plus que le voyage, c'est surtout l'homme qui est visé et c'est lui que l'on veut atteindre. Son ami Lesson, qui a voyagé avec d'Urville écrit à son sujet qu' "...[il] avait pour maxime qu'il fallait se servir des uns et briser les autres... et qu'il fallait arriver ici-bas, aux honneurs et à la fortune en poussant devant soi ceux qui faisaient obstacle au but que l'on voulait atteindre."[154]. Fidèle à ce précepte, l'impétueux Normand se crée autour de lui à la fois un réseau d'amis de premier ordre et un cercle d'adversaires qui ne manqueront pas de lui barrer le chemin. Si les instruments scientifiques du premier voyage et la lenteur de la publication des résultats sont les raisons officielles des mauvaises relations entre d'Urville et Arago, ces dernières s'intensifient en 1830. A la suite du décès du contre-amiral Rossel [155], d'Urville fait acte de candidature pour le remplacer au siège vacant de l'Académie. Or, un autre candidat est préféré : le contre-amiral Roussin, futur ministre de la Marine. Pour d'Urville, le secrétaire de l'institution est seul responsable de ce choix : "Sollicité par plusieurs membres de l'Académie des sciences, je me mis sur les rangs... je fis les humiliantes visites de rigueur en pareille circonstance et l'on me crut longtemps assuré d'une forte majorité. Mais une coterie puissante me suscita tout à coup un concurrent sur lequel je ne comptais pas, et fit si bien qu'il fut élu à une majorité immense... Je dus me condamner à l'obscurité la plus complète et ne songer absolument qu'à ma publication."[156]. Dès lors, concevant une vive amertume à la suite de cet échec, d'Urville ne manque pas, comme à son habitude, de faire connaître bien haut son opinion au grand mécontentement du principal intéressé. La réplique ne se fait pas attendre. Chargé de juger les travaux de météorologie et de magnétisme du voyage qui venait de se terminer, Arago fait la sourde oreille et garde quatre ans les mesures de d'Urville avant de les utiliser. Reprenant à son compte les observations scientifiques, d'Urville publie comme nous l'avons vu, le Voyage de découvertes de l'Astrolabe en 1833 afin de mettre en valeur ses résultats. Dès lors, s'estimant biaisé par le navigateur, il était normal que la voix de l'opposition à un nouveau projet d'explorations provienne du célèbre astronome. De fait, aucun des deux hommes ne sort grandi de cette polémique. S'il est compréhensible que le navigateur défende becs et ongles un projet longtemps mûri, cela n'excuse pas la violence des attaques désobligeantes qu'il mène envers son adversaire. En ce qui concerne Arago, il est le premier à raviver la plaie entre les deux hommes et sa lenteur à publier les résultats de l'expédition officielle française de 1826 pâlit son image de scientifique rigoureux et de député intègre. "L'utilisation d'arguments spécieux et un discours foncièrement malhonnête dont la finalité ne peut paraître autre que l'assouvissement de sentiments personnels"[157], ne servent pas l'image du grand homme. Dans son discours à la Chambre des Députés du 5 juin 1837, Arago nie que l'Antarctique soit une destination intéressante pour la recherche. "Quelles sont d'abord les chances de découvertes dans un voyage vers le pôle Sud ? Que va-t-on y chercher ? ...Monsieur d'Urville va voir si dans les mer du Sud il existe une veine d'eau sur laquelle il puisse s'approcher du pôle. Je suppose qu'il trouve cette veine, je suppose même qu'il arrive au pôle; qu'en résultera-t-il ? J'ai été officiellement chargé de lui signaler les observations qu'il pourrait faire... et je n'ai pas trouvé une seule indication à lui donner... S'il y va, il pourra dire qu'il y a été, et voilà tout... C'est donc un voyage de pure curiosité; les gens sensés n'entreprennent pas des voyages dangereux [158], quand il n'y a rien à en attendre pour les sciences ni pour le commerce." [159]. N'est-il pas au courant que les voyages des prédécesseurs de d'Urville ont également été lancés à l'aveuglette dans l'espoir de découvrir quelque chose ? Comment est-il concevable qu'un des plus grand physicien du moment ne puisse trouver quelque expérience à effectuer dans une région considérée comme la source du magnétisme de l'hémisphère austral ? Certes le fonctionnement du magnétisme terrestre est suffisamment étudié pour n'avoir pas besoin d'observations in situ. Pourtant, la détermination de la dimension exacte du continent Antarctique, lointain descendant de la mythique Terra Incognita prévu par Théopompe depuis vingt-trois siècles [160], semble former un but scientifique cohérent. Faut-il deviner, au travers des attaques d'Arago contre le voyage de d'Urville, une opposition plus large, visant la monarchie française ? N'oublions pas que c'est Louis-Philippe qui propose de modifier le parcours du navigateur afin de mener une campagne d'explorations au pôle Sud. Est-il concevable que la contestation d'Arago s'adresse avant tout aux projets royaux jugés dispendieux et sans intérêt réel autre que celui du prestige et non au simple capitaine de vaisseau qu'est Dumont d'Urville ? Sans doute, mais lorsqu'il parle de l'inutilité de ce voyage pour le commerce, là la mauvaise foi d'Arago est manifeste. Comme tous les grands esprits au courant des affaires de la nation, le député de gauche connaît l'intérêt de cette région pour les chasseurs de phoques et les baleiniers. Pourquoi ne pas vouloir envoyer une expédition officielle pour confirmer - ou infirmer - l'importance économique de cette nouvelle région ? De plus, faisant un procès d'intention à d'Urville, Arago considère que cette exploration antarctique n'est qu'un épisode d'une longue navigation et que "...devant la première difficulté, M. d'Urville rebroussera chemin pour aller remplir l'autre partie de sa mission..." [161]! Parmi les traits de caractère du marin, l'obstination et le sens maritime contredisent par eux-mêmes l'accusation du physicien. En ce qui concerne les découvertes géographiques à effectuer, Arago est encore plus sceptique : "...si l'on s'était proposé d'indiquer où l'Astrolabe devait aller pour n'avoir la chance d'aucune découverte, je crois qu'on se serait très peu écarté de l'itinéraire prescrit par M. d'Urville." Se sentant blessé dans son honneur, le caractère entier et facilement irritable de Dumont d'Urville croit bon de répondre par des articles largement diffusés dans la presse parisienne et toulonnaise. Se laissant emporter par la colère, le navigateur utilise des épithètes blessantes et qualifie le savant de "despote", de "Sultan de l'Observatoire" et "d'astronome quinteux" [162]. La diatribe aurait pu s'arrêter là. Cependant, Arago utilise à son tour la presse pour répondre aux accusations de son adversaire. Plus subtil, le scientifique surveille son langage et produit des articles dans lesquels il tente de démontrer avec une férocité implacable, l'incapacité totale de d'Urville tant dans le domaine des sciences que dans celui de la navigation. Son argumentation est souvent fausse et d'une telle mauvaise foi que la Rédaction des Annales maritimes et coloniales qui rapporte ses propos est obligée d'insérer à plusieurs reprises des notes le contredisant. L'éducation d'Arago lui interdisant l'utilisation de qualificatifs grossiers ou blessants, il préfère instaurer le doute dans l'esprit de ses lecteurs par des insinuations remarquablement efficaces : "...les marins disent ...qu'il est botaniste; les botanistes assurent qu'il est marin." [163]. Au-delà de la défense acharnée que d'Urville mène contre ses détracteurs, la publication de l'histoire du voyage contient tout de même un aveu troublant de la part du "marin-savant". En effet, avouant avoir découvert un morceau de continent désolé, d'Urville le décrit objectivement : "Le règne animal n'y était représenté que par des pingoins. Malgré nos recherches, nous n'y trouvâmes pas une seule coquille. La roche... n'offrait pas la moindre trace de lichens. Il fallut nous rabattre sur le règne minéral." [164]. Cette pauvreté constatée de la fameuse terre Adélie permet de comprendre le désintéressement des nations occidentales pour l'Antarctique durant les soixante années qui suivent. Enfin, les avertissements d'Arago doivent être gardés en mémoire à la lumière de la publication des résultats. Plus prestigieux que scientifiques, les résultats de d'Urville dans le Grand Sud semblent donner raison à la contestation initiée par l'académicien. Si le désaccord n'avait concerné que les deux intéressés, l'Histoire n'aurait pas retenu ces échauffourées verbales. Cependant, l'état d'esprit qui règne lors d'une mission d'explorations lointaines est tel que tous les membres de l'équipage se sentent concernés et font corps avec le commandant. Le journal de bord tenu par le quartier-maître Seureau, débute avec un paragraphe sur l'iniquité des attaques de "monsieur Harago" qui "...luis même avait prédit et fait mettre sur les journaux que l'on en voyait deux équipages à la boucherie." [165]. Publiées dans les quotidiens, les critiques du physicien sont connues du grand public et contribuent à tendre l'atmosphère régnant autour des préparatifs. Certes, l'équipage est constitué de volontaires choisis par les deux capitaines et fait corps avec le commandant étant donné le prestige lié à ces voyages au long cours. Toutefois, bien que Seureau fasse montre d'une grande sûreté dans les capacités de son chef [166], la peur de l'inconnu subsiste chez les participants. La contestation qui s'élève à propos de l'expédition, bien que virulente et acerbe, est en fin de compte l'oeuvre d'un seul homme : Arago. Polytechnicien et académicien de renom, le secrétaire perpétuel est un des membres les plus influent de l'institution scientifique et dans les domaines des mathématiques, de la physique et de l'astronomie, il est une autorité respectée en Europe [167]. Son avis antidurvillien largement répercuté par les organes de presse, force les milieux les plus divers de l'homme de la rue aux cercles politiques et scientifiques de la capitale à tendre l'oreille. Son anticonformisme et son indépendance d'esprit en tant que député d'extrême-gauche, son mépris pour les honneurs et les décorations reçus sous les différents régimes du début du XIXe siècle, en font un personnage de premier plan. Il est donc normal qu'une telle autorité soit écoutée avec attention, bien qu'en définitive, son influence sur le déroulement de l'expédition ait été limitée. 5.3 Au pôle Sud Conformément au désir de Louis-Philippe, l'expédition de d'Urville s'engage début janvier 1838 sur les traces de Weddell "le menteur", comme l'avaient surnommé les Américains. Cet Anglais aurait dépassé le cercle polaire antarctique et continué sa course jusqu'à une latitude où aucun autre homme ne s'était jamais aventuré. Or, cet exploit paraissait si extraordinaire en considération des autres tentatives effectuées jusqu'alors - dont celle de l'illustre Cook - qu'il était nécessaire de tenter de renouveler l'exploit pour juger de sa véracité, voir de le surpasser. Lors d'un voyage de documentation effectué à Londres en avril 1837, Dumont d'Urville est reçu dans les salons d'un club privé, lieu de rencontre des commandants "à la mode". S'enquérant auprès de ses collègues de l'opinion qu'ils s'étaient formée de Weddell, ceux-ci lui répondent qu'ils n'ont aucune raison de douter de la véracité de son récit. Cependant, loin d'avoir été convaincu par les compatriotes du chasseur de phoque, d'Urville rentre à Paris avec un avis mitigé sur la bonne foi de son successeur. La consigne principale de d'Urville est de suivre la route de Weddell pour voir s'il s'agit d'un canal d'eau libre toute l'année ou bien s'il a profité de circonstances extraordinaires en dépassant le 74e parallèle. Un autre navigateur, Morell, célèbre dans les milieux maritimes pour sa vantardise et le nombre incalculable de ses découvertes invérifiables, affirme qu'il est allé jusqu'au 70e et qu'il aurait pu aller jusqu'au 85e [168]. Quittant la Patagonie début janvier, d'Urville tient à suivre les traces de Weddell quinze ans après, aux mêmes lieux et aux mêmes dates afin de retrouver des conditions climatiques identiques. Or, dès le 21 du mois la banquise se présente devant les deux navires, entrecoupée de canaux et de passages plus ou moins resserrés jusqu'à devenir compacte. Dumont d'Urville décrit le spectacle en ces termes : "Sévère et grandiose au-delà de toute expression tout en élevant l'imagination, il [ce spectacle] emplit le coeur d'un sentiment d'épouvante involontaire; nulle part l'homme n'éprouve plus vivement le sentiment de son impuissance...". Or, le temps ne permet pas de tenter une percée parmi cet amas glacé. La tempête qui fait rage ne faiblit que le 2 février, date à laquelle le commandant décide de s'y engager. A peine quarante-huit heures s'écoulent que les deux corvettes se trouvent immobilisées, prises au piège dans un étau de glace où, selon le quartier-maître Seureau, "...l'on avait tant prédit que nous devions tous périr, que nous devions être engloutit par les glaces."[169]. La situation est dramatique pour l'expédition et l'officier Demas laisse apparaître sa colère. "Où sont-ils ces farceurs à barbes pointues qui veulent des émotions, du terrible à tout prix ? Et vous, messieurs de l'Institut, qui faites des théories les pieds sur les chenets, quelle ample moisson d'observations vous perdez :... il n'y a qu'à se baisser et à prendre. ...En vérité je vous le dis, vous avez eu tort de préférer vos moelleux oreillers aux hamacs de l'Astrolabe. Outre toutes les découvertes dont vous auriez pu enrichir la France, vous perdez un beau spectacle, celui de deux braves navires se préparant à lutter vaillamment... au milieu des glaces menaçantes du pôle austral."[170]. Il est intéressant de noter qu'après avoir pesté contre la présence à bord de scientifiques civils, la "marine-savante" française regrette, non sans amertume, l'absence de scientifiques pour partager les aléas des hommes de d'Urville... D'un autre côté, le second de l'expédition Jacquinot note qu' "...en nous engageant ainsi, je ne dissimulais pas qu'il y eut de l'audace et de la témérité à le faire". Moins terre-à-terre, l'enseigne de vaisseau La Farge a des élans poétiques : "Nous sommes encerclés, il n'y a plus d'issue, cela devient pittoresque."[171]. Ce n'est qu'après une semaine de lutte contre les éléments que les deux navires réussissent à se débloquer et à regagner la haute mer avec à leur bord un commandant sceptique à propos des résultats de son prédécesseur : "Sans admettre la véracité du récit de Weddell, je crois devoir aujourd'hui me renfermer dans un doute prudent jusqu'au moment où une autre tentative aura été répétée par des navigateurs dignes de foi." [172]. Rencontrant de la neige et de la grêle, la mâture et les haubans sont recouverts de glace, rendant très difficile la manoeuvre la plus simple. Cette carapace gelée alourdissant dangereusement les navires doit être cassée à la masse régulièrement sous peine de ne pouvoir naviguer de manière efficace. Conscient de l'impossibilité de poursuivre son excursion plus au sud, d'Urville reconnaît son échec mais émet tout de même certaines réserves quant à la véracité des dires de l'Anglais : "Sitôt qu'un autre capitaine aura pu seulement pénétrer de cinq ou six degrés plus avant que nous dans les mêmes régions, mes doutes cesseront, et Weddell aura complétement raison à mes yeux."[173]. En fait, les efforts de l'Anglais Ross et de l'Américain Wilkes dans les mêmes parages durant les cinq ans qui suivent, resteront également vains contre la masse de glace qui défend l'approche de l'immense golfe qui porte le nom de mer de Weddell et il faudra attendre la reprise des expéditions antarctiques au début du XXe siècle, pour permettre la continuation de l'exploration de ces régions inaccessibles. La tentative effectuée par d'Urville se termine donc par un échec malgré la terre de Louis-Philippe cartographiée par les marins [174]. Outre le fait de n'avoir pas dépassé la limite de Weddell, l'expédition compte désormais de nombreux malades atteints du scorbut. Une telle calamité nécessitant une relâche de plusieurs semaines, le commandant choisit de s'arrêter à Talcahuano au Chili pour remettre sur pied son équipage et lui-même, avant de poursuivre son périple en Océanie. "Enfin, j'étais arrivé à ce moment que j'attendais depuis si longtemps, celui où je verrais nos deux corvettes prendre définitivement leur essor à travers les îles de l'Océanie. De cet instant seulement commencait la campagne dont j'avais conçu et proposé le projet. Car notre travail aux glaces, tout périlleux qu'il avait été et tout importants qu'avaient été les résultats, n'avait eu pour but que de satisfaire aux désirs du roi."[175]. Continuant son voyage avec un équipage à nouveau en état de naviguer, d'Urville séjourne aux îles Gambier et accomplit d'importants travaux hydrographiques en traversant les Salomon [176] où il recherche à nouveau des traces de La Pérouse. Après avoir parcouru les Moluques, Borneo, Java et Singapour, il fait escale dans la grande colonie hollandaise de Batavia. Le courrier que d'Urville reçoit à Batavia de France, lui fait découvrir que le ministre de la Marine n'accuse même pas réception de ses premières relations antarctiques envoyées depuis le Chili. Son offre de les faire publier dans un journal scientifique reste sans réponse et aucune proposition d'avancement pour son équipage n'est prise en considération [177]. D'Urville devient convaincu que sa tentative de l'été austral de 1838 a été considérée comme un échec complet et le silence des autorités françaises le mortifie. Dès lors, le commandant oriente les activités de l'expédition de sorte de mener les deux corvettes en Tasmanie à la fin de l'année suivante, dans l'espoir secret de tenter une seconde incursion dans le Sud. Ce n'est qu'à l'escale de Hobart que d'Urville découvre ses projets, non sans créer la surprise au sein d'une partie de l'équipage. Le docteur Le Guillou persifle contre la manière de procéder du commandant, condamnant "...l'habitude de M. d'Urville... de nous laisser ignorer où il se proposait de mener l'expédition, ou même de nous induire en erreur sur ses intentions réelles. ...Nous apprenons avec un étonnement mêlé de stupeur que le commandant avait résolu d'essayer plus tard une nouvelle pointe vers le Sud..." [178]. Toutefois, au contraire du témoignage de Le Guillou, la majorité des marins français semble être encouragée par cet objectif. Certes, dès l'arrivée à Hobart plus de quarante membres de l'équipage doivent être débarqués dans un local transformé en hôpital de campagne, tant leur état physique s'est dégradé depuis le début des opérations. Cependant, grâce à l'embauche de marins locaux, l'expédition peut continuer en direction du Pôle avec ses deux navires, au lieu d'un seul comme le prévoyait le projet initial du commandant. Loin de se décourager devant les dangers à venir leur rappelant ceux de février 1838, les marins semblent suivre leur chef de manière résolue. Le quartier-maître Seureau, resté à Hobart à cause d'une dysenterie tenace, note dans son journal de bord, son émotion : "A 5h. du matin, nous vime les deux corvette mettre sous voiles avec bien du regret de ne pas pouvoir les suivres au pôle austral pour la 2e fois pour partager toutes leurs misaires du pôle." [179]. Ce désir de l'équipage de suivre son chef jusqu'au bout du monde et de braver des dangers inconnus, semble motivé par deux éléments distincts. D'un côté, les nouvelles de France reçues par d'Urville ont sans doute été divulguées afin de galvaniser la volonté des marins. La honte de n'avoir réussi à effectuer une percée dans la mer de Weddell, stimule l'ardeur de se dépasser à nouveau afin d'effectuer une nouvelle tentative. De l'autre, l'impatience est grande de précipiter le départ pour profiter de la "lucarne" météorologique favorable à une pointe au sud, permettant ainsi de devancer les concurrents. En effet, Wilkes se trouve à ce moment même à Sydney et James Ross va arriver incessamment à Hobart avec le même but : effectuer des recherches scientifiques dans les régions antarctiques. Parmi les disciplines intéressant la physique du globe, le géomagnétisme en est une en pleine expansion dans les années trente du XIXe siècle. L'astronome et mathématicien Gauss donne le premier une représentation théorique en traçant sur les cartes des lignes se regroupant aux pôles terrestres. Or, cette représentation n'est vérifiée qu'en ce qui concerne le pôle Nord étant donné que John Ross, oncle de l'explorateur austral, mène une expédition en 1829 qui permet de localiser précisément sa position. En ce qui concerne le pôle Sud, tout reste à faire et l'année 1840 peut être qualifiée d' "année antarctique" avant la lettre, étant donné l'intérêt international voué à cette question et les moyens mis en oeuvre pour trouver la solution du problème. En plaçant ses bateaux au point précis où l'aiguille aimantée se tient verticale, d'Urville confirmerait de façon éclatante la théorie de Gauss et la science du magnétisme terrestre ferait ainsi un grand bond en avant. Pressé par le temps, d'Urville fixe donc son appareillage pour le 1er janvier 1840. Laissant à Hobart une partie de son équipage malade, Dumont d'Urville met le cap au sud et croise la route de Cook, seul navigateur à avoir précédemment navigué dans ces parages jusqu'au 60e parallèle. Dans la relation du voyage, le commandant fait montre de sa détermination : "Mes équipages, quoique fatigués, étaient pleins de courage et déjà habitués à ce genre de navigation; je savais que, pour m'arrêter, il faudrait des obstacles tout à fait infranchissables." [180]. Le 19 janvier 1840 à trois heures de l'après-midi, l'homme de quart, signale à l'est du navire un indice de terre. Aussitôt, l'hydrographe Vincendon-Dumoulin grimpe dans la mâture pour vérifier cette assertion étant donné que l'équipage avait été de nombreuses fois déçu par ces "...fausses apparences, si fréquentes dans ces parages." Il est vrai que sous les hautes latitudes, le ciel et la terre (ou la mer) ont tendance à se mélanger à l'horizon en dégageant une couleur grisâtre qui rend impossible toute détermination précise d'objets lointains. Cette particularité météorologique également connue des habitants des régions arctiques, est appelée Sila et est considérée comme un esprit animiste incluant les concepts d'éternité, de force et d'intelligence. Toutefois, si cet esprit peut à certaines occasions guider les hommes, il peut également les tromper et les mener à leur perte en les égarant [181]. Or, il s'avère que l'indication donnée par l'homme de quart est un nuage qui semble flotter sur l'horizon. Cependant, "...en descendant,... [Vincendon-Dumoulin] m'annonce en outre, que droit devant nous, il existait une apparence de terre bien plus distincte et mieux tranchée; c'était la terre Adélie. ...Mais, il avait été si souvent déçu par des illusions de ce genre, qu'il était loin lui-même de croire à sa découverte, et même il fut un des derniers à reconnaître la réalité de son existence." [182]. "Alors, j'annonçais aux officiers rassemblés en présence de l'équipage que cette terre porterait désormais le nom de terre Adélie. Cette désignation est destinée à perpétuer le souvenir de ma profonde reconnaissance pour la compagne dévouée qui a su par trois fois consentir à une séparation longue et douloureuse, pour me permettre d'accomplir mes projets d'explorations lointaines. ...De ma part ce n'est donc qu'un acte de justice, une sorte de devoir que j'accomplis, auquel chacun ne pourra s'empêcher de donner son approbation."[183]. Se rapprochant de la terre, l'équipage français est transporté de joie à l'idée de découvrir une côte inconnue. Même les malades de l'expédition se retrouvent sur pied pour profiter du spectacle. Le journal du matelot Dubouzet, cité par d'Urville dans le Voyage, traduit la liesse de ces marins arrivés au terme de leurs efforts. "Il était près de neuf heures lorsque, à notre grande joie, nous prîmes terre sur la partie ouest de l'îlot... Les hommes... précipitaient en bas les pingouins, fort étonnés de se voir dépossédés si brutalement de l'île dont ils étaient les seuls habitants... J'envoyai aussitôt un de nos matelots déployer un drapeau tricolore sur ces terres qu'aucune créature humaine n'avait vues ni foulées avant nous. Suivant l'ancienne coutume que les Anglais ont conservée précieusement, nous en prîmes possession au nom de la France... Nous ne dépossédions personne, et nos titres étaient incontestables... [Ce sol français] aura du moins l'avantage de ne susciter jamais une guerre à notre pays. La cérémonie se termina, comme elle devait finir, par une libation. Nous vidâmes à la gloire de la France, qui nous occupait alors bien vivement, une bouteille du plus généreux de ses vins... Jamais vin de Bordeaux ne fut appelé à jouer un rôle plus digne; jamais bouteille ne fut vidée plus à propos."[184] [185]. 5.4 Résultats de l'exploration antarctique L'expédition découvre un nouveau morceau du continent Antarctique, lointain ancêtre du continent Austral prévu par Théopompe dès le IVe siècle avant J.C. pour maintenir le globe en équilibre. Bien que les efforts de la France soient récompensés par cette découverte, l'on peut s'interroger sur l'apport global de l'expédition. Certes, les "titres de propriété" de la France sur cette portion antarctique sont, comme le prévoit Dubouzet, incontestables. Lors du partage du continent en 1959, la France obtient en effet la portion de terre située du pôle géographique à la côte de la terre Adélie. Toutefois, malgré les importants résultats géographiques de l'expédition, les projets de navigation vers le pôle magnétique ne peuvent se réaliser. Les calculs des scientifiques positionnent la côte du continent à quatre-vingt six degrés sud et le Pôle est encore loin. Quatre cents milles nautiques environ séparent le rivage au centre magnétique d'après les mesures de Vincendon-Dumoulin. "Ce qui est bon à dire, et c'est une mince consolation pour la mémoire de d'Urville, c'est que de nos jours il se trouve en mer, à quelque cinquante milles au large de la côte de la terre Adélie, là où il y a plus d'un siècle passèrent l'Astrolabe et la Zélée."[186]. Cependant, si pour la France et Dumont d'Urville le prestige d'avoir découvert une portion de côte inconnue est grand, il est nécessaire de remettre cet apport géographique dans son contexte historique. Il ne faut pas oublier que depuis 1820, de nombreux explorateurs officiels et chasseurs de phoques s'aventurent dans les régions antarctiques et améliorent les connaissances humaines relatives à ce continent. Dès lors, loin d'avoir découvert l'Antarctique, d'Urville relève les côtes d'une petite portion de cette terre et donne à son expédition le caractère d'une campagne hydrographique plus que celui d'un voyage de découvertes stricto sensu. Si les efforts nécessaires à cet exploit rehaussent l'intérêt de cet apport géographique, gardons en mémoire que la compétition est rude autour du Pôle cette année là et que pas moins de neuf navires sont lancés dans le Sud à partir de l'Australie et de la Tasmanie. D'ailleurs, la contestation qui naît dès le retour de d'Urville en France sur la primauté de la découverte de la côte entre lui et Wilkes [187], dénote l'intérêt international et la course dans lesquels s'inscrit cette expédition ainsi que les recherches sur le magnétisme du globe. L'apport hydrographique de la seconde tentative effectuée en Antarctique par d'Urville est seule considérée par la France du XIXe siècle comme valable. Pourtant, il semble que les résultats de "l'échec" entrepris depuis la terre de Feu ne soient pas aussi insignifiants qu'ils n'y paraissent de prime abord. En effet, aujourd'hui les glaciologues et géologues spécialistes de l'Antarctique émettent de sérieux doutes quant aux résultats de Weddell [188]. Aucun navire hydrographique moderne n'a jusqu'à ce jour réussi à aller jusqu'au 74e parallèle, point extrême de la tentative du marin anglais. Cette vérification à postériori de l'étendue des glaces dans la mer de Weddell confirme l'importance de l'excursion de d'Urville qui, si elle ne peut pénétrer au delà du 63e méridien, le fait de manière incontestable. De plus, les scientifiques modernes s'accordent à reconnaître que les corvettes ont bénéficié cette année-là d'un climat exceptionnellement doux, ce qui pose de plus en plus de questions sur l'honnêteté du chasseur de phoques Weddell, ou du moins de l'exactitude de ses calculs. Dès lors, bien que les parages du 70 e parallèle aient été fréquentés dans d'autres régions à l'ouest de la péninsule antarctique, aucune tentative digne de foi n'a été effectuée dans la mer de Weddell. Ce qui a été taxé comme un échec de la part de Dumont d'Urville et du gouvernement français en 1840, pourrait bien être aujourd'hui considéré comme un grand succès. La persévérance mise en oeuvre par le chef de l'expédition, couplée aux efforts consentis par les membres de l'équipage, ressemblent plus aux exploits sportifs de notre période qu'aux explorations du siècle des Lumières. Dernier héritier d'une longue lignée de "marins-savants", d'Urville clôt la série des grands voyages inaugurés depuis 1760 en offrant au monde une découverte prestigieuse mais sans bénéfice pratique à court terme. D'ailleurs, les soixante ans qui s'écoulent avant la reprise des expéditions polaires au XXe siècle, traduisent le manque d'intérêt des nations occidentales pour un continent glacé. Peut-être que le quartier-maître Seureau a raison lorsqu'il résume en deux phrases seulement dans son journal, la plus grande découverte de son chef : "Après avoir souffert de grand froit et de faire côte, ils découvrire la Terre Adélie qui se trouve par 66deg.50' et quelque minutes de latitude Sud. La Terre Adélie et la banquise forment un grand golfe ou les deux corvette se trouvait dans le fond de se golfe."[189]. Chapitre 6.0 Les collections d'histoire naturelle "Je distingue deux moyens de cultiver les sciences : l'un d'augmenter la masse des connaissances par des découvertes; et c'est ainsi qu'on mérite le nom d'inventeur, l'autre de rapprocher les découvertes et de les ordonner entre elles, afin que plus d'hommes soient éclairés, et que chacun participe, selon sa portée, à la lumière de son siècle." Diderot Les collections d'histoire naturelle rapportées par les voyages d'explorations lointaines, constituent le vrai trésor scientifique des expéditions officielles du XIXe siècle. Certes, les missions de sauvegarde des intérêts commerciaux effectués par les navigateurs du siècle dernier ont leur importance. Toutefois, les activités politiques des Européens dans le Grand Océan paraissent d'un intérêt secondaire en considération de la richesse naturelle de cette région du globe apparente dans ces collections. La variété et la richesse naturelle de cette région, mise en lumière depuis les Grandes Découvertes du long XVIe siècle, ne sera accessible dans sa globalité qu'à partir des développements maritimes du XVIIIe siècle. La progression des sciences qui s'effectue grâce aux expéditions allant de Cook à Dumont d'Urville, bien que motivée par l'intérêt intellectuel n'est rendue possible que grâce aux voiliers de cette période : point de corvettes, point de collections; point de collections, point de classifications intelligibles ni de science véritable. C'est la raison pour laquelle la richesse des collections rapportées que nous allons brièvement tenter de présenter, ne doit pas faire oublier la primauté du navire sur l'homme. Ce dernier est, en quelque sorte, l'homme du bateau et non l'inverse. Si les scientifiques n'embarquent pour ainsi dire plus dans les expéditions lointaines depuis les malheureux précédents de d'Entrecasteaux et de Baudin, ils restent maîtres du programme à effectuer. Ce sont eux qui rédigent les instructions définitives des voyages au long cours et notifient aux officiers et aux médecins du bord, la direction à donner à leurs recherches. Certes, ces navigateurs ne sont pas des spécialistes et si certains se passionnent pour tel ou tel domaine, leur rôle doit se borner à suivre les instructions qui leur sont données et surtout à récolter des matériaux qui seront ensuite analysés au retour par les spécialistes de l'Académie des sciences. Toutefois, malgré les efforts des navigateurs de la Royale pour tenter de suivre les instructions données, leur travail est rendu difficile par la nature même des explorations lointaines. Il ne s'agit plus de récolter n'importe quel spécimen de botanique ou de zoologie au hasard, comme le permettait encore l'état des sciences au siècle des Lumières mais des pièces bien définies. Rappelons que les navires ont été nombreux à sillonner les mers depuis 1750 et que l'histoire naturelle est en pleine expansion grâce aux apports précédents. Désormais, à cheval entre la récolte les yeux fermés du XVIIIe siècle et les expéditions pointues qui se dérouleront dans la seconde moitié du siècle suivant, d'Urville est chargé avec ses équipages de compléter les vides des premières collections. Certains sont faciles à combler. D'autres, au contraire, présentent d'innombrables difficultés. Si une espèce manque, c'est d'ordinaire qu'elle est mal connue et que son habitat et ses habitudes de vie la rendent difficile à trouver. Sa capture nécessitant une étude approfondie de ses moeurs, elle est souvent en opposition avec le programme chargé des voyages, limitant la durée des escales. 6.1 Les résultats Malgré la durée limitée des escales et grâce aux efforts enthousiastes des chercheurs embarqués par Dumont d'Urville, la masse des spécimens d'histoire naturelle rapportée se montre au dessus des espérances les plus optimistes : "MM. Quoy et Gaimard [190], zoologistes de l'expédition, étaient déjà glorieusement connus de l'Académie... par leurs participation au Voyage de M. le capitaine Freycinet, et par le volume plein d'observations curieuses et nouvelles dont ils ont enrichi sa Relation. On ne pouvait pas douter que l'expérience acquise lors de cette première expédition, et les études qui leur avaient été nécessaires pour en publier les résultats, ne les eussent mis à même de rendre la seconde encore plus profitable à la science; et l'on espérait d'autant plus que le capitaine d'Urville devait se rendre dans des parages encore plus abondans (sic) en riche productions, et encore moins connus des naturalistes que ceux qu'avaient traversés... Freycinet. Ces espérances n'ont point été trompées... MM. Quoy et Gaimard ont envoyé et rapporté des collections plus considérables qu'il n'en avait été formé jusqu'à ce jour, ni par leurs prédécesseurs, ni par eux-mêmes." [191]. La collection botanique du second voyage est particulièrement importante. Se composant de mille six-cents spécimens, elle contient de nombreuses espèces nouvelles. Pourtant, faute de spécialistes à l'Académie, elle fut mal exploitée au retour de l'expédition et une grande partie de cette collection "...attend toujours dans les réserves du Muséum d'Histoire naturelle, que quelqu'un veuille bien s'y intéresser, l'ordonner et en dresser l'inventaire complet."[192]. Parmi les éléments les plus importants dans le groupe des mammifères, une nouvelle sous-espèce de phoque est découverte ainsi que deux de dauphins totalement inconnus. Jacquinot, frère du commandant de la Zélée, chirurgien et spécialiste des reptiles et amphibiens, ramène soixante espèces de reptiles différentes dont vingt, surtout des serpents amphibis, étaient nouvelles. En ce qui concerne les poissons, sur les quatre cent quatre-vingt-cinq rapportés, une seule, un requin, est encore inconnu. La collection ornithologique, bien que constituée par deux non-spécialistes, l'ingénieur hydrographe Vincendon-Dumoulin et le commissaire Ducorps, comporte plusieurs espèces nouvelles chez les perroquets, les échassiers et les palmipèdes. Les recherches en entomologie, passion personnelle de d'Urville, sont également d'une richesse remarquable en nombre d'espèces d'arachnides et de coléoptères encore non répertoriées. Le sixième volet de la zoologie, les mollusques, est la chasse gardée de l'officier de Blainville et il rapporte au Muséum neuf cents espèces dont plusieurs sont signalées comme nouvelles. En plus des nouvelles variétés d'animaux décrites ou rapportées en France, c'est également la collecte d'animaux ou de végétaux insuffisamment étudiés jusqu'ici qui fait la force des nombreuses caisses distribuées aux divers instituts dès le retour des expéditions. "...rien ne prouve mieux l'activité de nos naturalistes, que l'embarras où se trouve l'administration du Jardin du Roi, pour placer tout ce que lui ont valu les dernières expéditions, et surtout celle dont nous rendons compte. Il a fallu descendre au rez-de-chaussée, presque dans les souterrains, et les magasins même sont aujourd'hui tellement encombrés, c'est le véritable terme, que l'on est obligé de les diviser par des cloisons, pour y multiplier la place."[193]. Ces objets d'histoire naturelle, squelettes ou peaux d'animaux trop gros pour être naturalisés ou enfermés dans des bocaux d'alcool, constituent des matériels de première importance pour l'Académie des sciences. En effet, si les descriptions d'espèces nouvelles constituent autant de bonds en avant pour l'humanité, la possibilité d'étudier de manière approfondie des espèces à peine décrites ou manquantes au musée[194], sont les petits pas nécessaires au paufinement des classifications initiées par Linné et Buffon. Les sciences naturelles bénéficient d'un tel développement dans la première moitié du XIXe siècle, qu'entre le premier et le second voyage de Dumont d'Urville, les besoins changent drastiquement. En 1840, seule la spécialisation n'a d'intérêt désormais et la pléthore d'échantillons ramenée ne correspond plus tout à fait aux besoins des zoologistes. Certes les animaux naturalisés feront les beaux jours des musées d'histoire naturelle qui se développent dans la seconde moitié du siècle et participent ainsi à répandre la connaissance de la diversité des régions océanes au sein du public européen. Néanmoins, en ce qui concerne la science pure, le second voyage de d'Urville semble être plus justifié par l'exploration géographique antarctique, que par la récolte de spécimens d'histoire naturelle; tradition désormais obsolète héritée du siècle précédant. 6.2 La phrénologie de Dumoutier Adepte des théories de phrénologie du docteur Gall [195], Dumont d'Urville choisit d'emmener pour son second voyage, un collègue ouvert aux idées de cette nouvelle discipline scientifique : le médecin Dumoutier. Chargé par le commandant en plus de sa charge de chirurgien de bord des études de craniologie, il s'équipe d'un cranioscope [196], de son matériel de moulage et se livre à un travail considérable. En accord avec le fondateur de la phrénologie, le médecin de l'Astrolabe est convaincu que l'aspect extérieur du crâne reflète le degré de civilisation et d'intelligence de l'homme et c'est pour vérifier ces théories, que Dumoutier accepte d'accompagner d'Urville lors de son périple en Océanie. Jusqu'en 1836, on s'était contenté de dessins pour appuyer les thèses du docteur Gall. Grâce à Dumoutier, cinquante et un bustes moulés "sur nature" sont effectués durant le voyage. Ces moules en plâtre seront ensuite daguerréotypés[197] en réduction de cinquante pour cent dès le retour à Paris des membres de l'expédition, puis calqués soigneusement et reproduits sur des plaques pour en faire des lithographies. Ce procédé de haute technologie pour l'époque, a le mérite de supprimer toute déformation d'appréciation du dessinateur et de restituer exactement les cotes de l'homme ainsi traité [198]. Le soucis du détail que le médecin Dumoutier porte à ses bustes, permet aux générations futures de posséder des représentations parfaites d'autochtones de l'Océanie, à une époque où la "photographie" en est à ses premiers balbutiements et où il est par conséquent impensable de songer à transporter à bord d'un navire un matériel aussi délicat et encombrant que les premiers prototypes d'appareils photographiques. 6.3 Les dessins scientifiques des expéditions Dans la première partie du XIXe siècle, la technique ne permet pas de transporter un appareil photographique à bord des navires. Il est par conséquent nécessaire, pour les besoins du progrès de l'histoire naturelle, d'utiliser un procédé capable de piquer sur le vif certains aspects de la vie courante ou des détails que "l'esprit-de-vin" (l'alcool) ne permet pas de conserver. Dumont d'Urville, autant désireux de laisser à la postérité des traces de ses voyages que de faire progresser les sciences naturelles, choisit le dessin comme moyen d'immortaliser son passage dans le Grand Océan. Durant le premier voyage au long cours, le dessinateur officiel est Sainson. Toutefois, connaissant la forte mortalité provoquée par les dangers de ces expéditions, d'Urville décide d'embarquer un autre homme d'équipage capable de remplacer le peintre en cas d'accident ou de maladie. Le médecin Quoy, chargé avec Gaimard des collections de zoologie, possède également les qualités artistiques requises qui ne manqueront pas d'impressionner - avec raison - les membres de l'Académie des sciences lors de l'évaluation des travaux : "Tous ces dessins ont été exécutés par M. Quoy avec un talent très-remarquable et une persévérance vraiment digne d'admiration; car on a peine à concevoir comment, dans le petit nombre de jours que durait chaque relâche, il a pu rendre tant de détails, surtout pour ...les Mollusques qu'il était obligé de tenir vivans (sic) dans des vases remplis d'eau de mer. Rien ne pouvait être fait de plus précieux pour l'histoire naturelle de ces animaux qui ont été si peu connus jusqu'à présent, précisément parce qu'ils ne pouvaient être observés utilement que de cette manière."[199]. L'importance des images pour l'étude des animaux est apparente dans le passage ci-dessus. Ce n'est que par l'observation d'animaux vivants que les détails nécessaires à une classification correcte peuvent être connus. Seuls une photographie ou à défaut un bon croquis rendant fidèlement les couleurs de l'original, sont à même de fixer les caractéristiques nécessaires à posteriori aux études d'histoire naturelle. D'ailleurs, Cuvier reconnaît la valeur des travaux des naturalistes lorsqu'il constate que "...l'attention de MM. Quoy et Gaimard s'est portée principalement et avec raison sur ces caractères extérieurs et fugitifs qui disparaissent sur l'animal conservé dans la liqueur."[200]. En fait, la capacité artistique du médecin Quoy à représenter avec fidélité ses modèles, peut être considérée comme primordiale dans le succès des études zoologiques du voyage : "Les Poissons, dont il est si difficile de conserver les teintes, ont été peints par M. Quoy avec un soin tout particulier; et l'on apprend avec surprise, par ses figures, que beaucoup d'espèces déjà bien connues des naturalistes, d'après des individus recueillis dans des cabinets, sont de couleurs toutes différentes de celles qu'on leur supposait... Ce qui en sera surtout avantageux pour l'ichtyologie, ce sont les couleurs peintes d'après le frais, et que jusqu'à ce jour il a été impossible de conserver autrement."[201]. Couplée aux dessins des collections d'histoire naturelle, des descriptions littérales insistent sur les caractères spécifiques importants des objets étudiés. Cette double représentation, picturale et littérale, permet de décrire de manière la plus objective possible la plante ou l'animal en question. En effet, si la description par le texte est encore plus difficile que par l'image, la superposition des deux méthodes produit un résultat satisfaisant pour les savants du siècle passé [202]. Est-il possible de considérer une forme d'expression comme plus représentative, plus proche de la réalité que l'autre ? Certes, des phrases telles que "le ventre est d'un violet grisâtre" contenues dans l'analyse littérale du Rollier d'Urville (planche 16 de l'atlas zoologique du Voyage de l'Astrolabe, c.f. Annexes), ne paraissent pas précises. Où s'arrête le ventre de l'oiseau ? Est-ce d'un violet grisâtre sombre, ou clair qu'il s'agit? De nombreuses interrogations sont soulevées à la lecture des "Descriptions" seules. D'un autre côté, l'image paraît stérile sans le commentaire de l'observateur qui, même si son travail pictural est remarquable de qualité, ne permet pas d'insister sur les traits caractéristiques de l'animal étudié. En fait, l'image et le texte s'enrichissent l'une et l'autre[203]. Par comparaison le scientifique réussit à rapprocher l'analyse littérale du dessin de manière à surimprimer la première sur le deuxième, afin d'obtenir un résultat se rapprochant de la réalité. Illustrations, textes et spécimens rapportés forment la richesse scientifique des voyages d'explorations lointaines. Toutefois, pour que cette moisson de détails zoologiques puissent être une aide au développement de l'histoire naturelle, elle doit être traitée avec attention. Conscient que les naturalistes des expéditions n'ont qu'une bibliothèque limitée à bord des navires, Cuvier précise dans ses rapports que Quoy et Gaimard n'ont pas toujours été bien sûrs de la détermination "...ni de la synonymie de leurs espèces et qu'ils en auront quelques fois regardé comme nouvelles qui se trouvaient déjà décrites isolément dans quelques voyages ou dans quelques écrits périodiques." Cependant, la précision de leurs dessins et de leurs descriptions, couplés aux individus rapportés, fournissent un champ d'étude si sûr et si complet qu'ils sont à même de rectifier à leur retour, grâce aux bibliothèques, les erreurs qui se seraient introduites dans leur travail préparatoire. En scientifiques consciencieux, Quoy et Gaimard ne veulent publier que les faits nouveaux. Dès lors, ils vouent une grande attention à la consultation des riches collections et des bibliothèques spéciales du Jardin du Roi et celle du baron Cuvier "...qui toutes nous sont ouvertes avec une générosité que nous ne saurions oublier."[204]. Signe des temps, l'accroissement rapide des publications scientifiques dans la première moitié du siècle est tel [205] que les naturalistes doivent effectuer un travail documentaire gigantesque pour ne pas considérer comme nouvelles des espèces qui auraient déjà été étudiées par leurs prédécesseurs. "Mais on publie en ce moment, sur presque tous les points du globe, tant d'ouvrage relatifs à l'Histoire naturelle, qu'il serait bien difficile de ne pas reproduire quelquefois certains objets sous des noms différens (sic)."[206]. Bien que la masse des collections scientifiques constitue la richesse des explorations de Dumont d'Urville, certaines n'ont pas encore été soumises à toute l'attention nécessaire. L'illustre Cuvier lui-même, chargé tout naturellement de commenter les résultats en sciences naturelles de la première expédition, fait montre de son impossiblité à traiter un matériel aussi vaste : "Quelque étendue que nous voulussions donner à notre rapport, nous serions toujours bien loin d'épuiser une si riche moisson. Il y aura pour long-temps à étudier et à méditer sur tant d'animaux dont il s'agira de fixer la place et les caractères; et MM. Quoy et Gaimard eux- mêmes ne l'épuiseront peut-être pas en entier dans l'ouvrage que ...le gouvernement les mettra bientôt à même de donner au public. Heureusement leurs récoltes ont été conservées avec tant de soin... qu'elles fourniront pendant long-temps encore aux naturalistes des matériaux d'observations fructueuses."[207]. En somme, la masse des publications dans le domaine des sciences naturelles durant la première moitié du XIXe siècle est si importante, que les contemporains de d'Urville ne peuvent honorer les collections rapportées. La relation du Voyage de l'Astrolabe, en vingt-cinq volumes in-octavo plus les atlas de planches, nécessite cinq ans de travaux pour sa publication. L'inflation du nombre d'ouvrages relatifs aux voyages de découvertes depuis le début du XIXe siècle est une des raisons pour lesquelles ces explorations sont moins connues que celles du siècle précédent. En effet, si Bougainville se contente d'un volume pour son récit, Rossel limite encore la relation du voyage de d'Entrecasteaux à la recherche de La Pérouse à deux volumes; le second contenant les résultats des expériences scientifiques. En ce qui concerne les publications de Dumont d'Urville, le grand nombre d'ouvrages rend difficile sa popularisation au sein d'un large public. Certes, le Voyage pittoresque autour du monde est une tentative de vulgarisation réussie, eu égard aux deux éditions qui sortiront de presse, l'une de 1834, l'autre en 1856 mais les découvertes du navigateur restent limitées à un cercle restreint d'initiés. De nos jours également, la centaine de dossiers d'archives provenant de l'expédition, à laquelle s'ajoutent correspondances, cartes, dessins, objets et spécimens rapportés, forment un corpus de sources peu utilisées [208] limitant la connaissance de l'oeuvre de Dumont d'Urville. Les membres de l'Académie, fidèles à la prévision de Cuvier dans son rapport introductif, réalisent au fur et à mesure de la parution des volumes, qu'ils ont sous-estimé l'importance des travaux de l'expédition [209]. En fait, la vraie reconnaissance des talents maritimes et scientifiques de d'Urville après son premier commandement, devait être un second voyage au long cours qui établit sa réputation bien au-dessus de tout ce qu'Arago, ou de lui-même, pouvait faire pour la miner. 6.4 Les dessins de la vie quotidienne En parallèle des dessins à but scientifique que les membres de l'expédition effectuent pour tenter de sauvegarder les traits fugaces des espèces animales rencontrées, des croquis figuratifs de la vie quotidienne sont réalisés. Etant donné l'impossibilité d'emporter un appareil photographique pour immortaliser les contrées visitées, le recours au dessin s'impose tout naturellement. Dumont d'Urville, soucieux de joindre l'utile à l'agréable, est conscient de l'importance de l'image pour transmettre à la postérité des témoignages vivants de ses expéditions. C'est la raison pour laquelle, si Sainson et Quoy sont les dessinateurs attitrés du premier voyage, le commandant ne manque pas d'embarquer également pour sa seconde expédition, des marins capables d'illustrer les scènes de la vie quotidienne. En cette époque de découvertes, il est de la plus haute importance de faire participer ceux qui sont restés en France de tout ce qu'on a vu durant les années passées à sillonner les océans. La description littérale contenue dans les "historiques" des voyages rédigés par les chefs d'expéditions ne suffisent plus pour reporter de manière vivante les hauts faits vécus en route ou les curiosités dignes d'attention rencontrées au gré des océans. Le talent d'un dessinateur donne une dimension nouvelle aux voyages de découvertes et permet aux non-initiés de visualiser la réalité de ces aventures. Certes, les ministres de la Marine française n'ont pas besoin d'aide pour se représenter des voyages d'explorations. La plupart d'entre eux sont issus des expéditions officielles antérieures et comprennent les dangers des navigations en mers inconnues. Toutefois, si les commanditaires politiques sont conscient de la réalité de ces aventures maritimes, les scientifiques restés à terre sont loin d'être à même de visualiser les circonstances dans lesquelles sont effectuées les récoltes d'échantillons d'histoire naturelle leur permettant de faire progresser la science. De plus, dans le premier XIXe siècle français où la Révolution industrielle s'accélère à grands renforts de développements technologiques, il n'est pas étonnant que des hommes à la pointe du progrès intellectuel se captivent pour les dernières nouveautés. Le phrénologiste Dumoutier, par exemple, utilise le procédé récemment développé de la dagguéréotypie pour reproduire fidèlement ses bustes en plâtre. Les essais concluants dans le domaine de la "photographie" stimulent très certainement le désir de Dumont d'Urville de posséder des traces visuelles aussi fidèles que possibles de ses expéditions au pôle Sud et dans l'Océanie. Pour son second voyage de découvertes, le navigateur choisit d'embarquer un civil, Ernest Goupil, pour traduire en images les scènes de la vie courante à bord des navires. Agé alors de vingt-trois ans, son caractère doux et enjoué autant que son physique franc et ouvert lui gagnent l'amitié de tous [210]. Rapidement intégré au sein d'un équipage composé de marins professionnels, le peintre Goupil est celui qui détend l'atmosphère lorsque les problèmes se posent : "'L'Artiste' ! (c'est ainsi qu'on se plaisait à le désigner) était un mot magique qui déridait les fronts les plus soucieux et appelait sur toutes les lèvres un bienveillant sourire... Pendant les journées les plus obscures, par les froids les plus rigoureux, assis sur la dunette, pouvant à peine tenir son crayon dans ses doigts glacés, il couvrait les pages de son album des formes... des glaçons qui nous entouraient."[211] [212]. Toutefois, les talents de ce jeune peintre engagé volontaire pour une campagne dangereuse, ne purent s'exprimer longuement. Le 1er janvier 1840, à la veille du départ des corvettes pour la seconde tentative d'explorations en Antarctique, Goupil meurt de dysenterie dans l'hôpital de campagne qu'élève d'Urville à Hobart afin de soigner une partie de l'équipage. Dans le récit du voyage, les éloges ne manquent pas pour honorer la mémoire de l'infortuné artiste. Les officiers "...désiraient vivement pouvoir rendre à ses dépouilles les honneurs qui lui étaient dus." D'Urville lui-même, responsable de l'embarquement du dessinateur à cause de la reconnaissance de son "zèle et de son talent", est touché par la mort de ce "noble caractère", sensible aux "qualités du coeur" que possédait le dessinateur officiel de l'expédition. Après ce décès cruellement ressenti par les membres du voyage, le rôle de peintre échut au chirurgien de Marine Louis Le Breton. Fils et neveu de médecins, Le Breton est poussé dans cette branche par tradition familiale plutôt que par vocation. Second médecin à bord de l'Astrolabe, Le Breton se désintéresse dès le début de la campagne de l'exercice de la médecine autant que de la pratique de la recherche scientifique. Sa véritable passion, le dessin, est la seule qu'il pratique effectivement durant les premiers mois du voyage. Virtuellement l'assistant de Goupil, Le Breton part souvent avec son collègue explorer les contrées nouvelles au hasard des escales afin de dessiner des curiosités. A la mort du dessinateur attitré, c'est tout naturellement lui qui se charge de combler le vide laissé par la disparition de son successeur et c'est donc lui qui aura la chance de dessiner la découverte de la terre Adélie par les Français, le 19 février 1840. De plus, il aura l'honneur de terminer les croquis de Goupil afin de les préparer pour les atlas de la relation du voyage, lors du retour en France de l'expédition. En annexe, nous incluons trois exemples de scènes quotidiennes peintes par les dessinateurs lors du second voyage d'explorations. D'abord, le premier dessin représente l'Astrolabe bloquée dans les glaces durant la première tentative effectuée pour atteindre le Pôle. Ensuite, une vue représente la scène la plus connue du voyage : la découverte de la terre Adélie. Conformément aux récits relatant cette journée historique, Le Breton ne manque pas de mettre en évidence la bouteille de vin de Bordeaux avec laquelle les marins boivent à la santé du roi Louis-Philippe et au nouveau continent. De plus, outre le fait qu'un marin plante les couleurs du pays sur cet amas de roches afin d'en prendre possession, le peintre se représente lui-même, concentré à croquer le paysage impressionnant de ces contrées sous les regards ébahis des manchots présents. Enfin, une représentation de la baie de Hobart dessinée par Le Breton retient notre attention. Grâce aux précisions apportées par le peintre, il est possible de se rendre compte de la prépondérance de la voile sur la navigation à vapeur aux alentours de 1840. Bien qu'à cette date l'hélice ainsi que la construction navale métallique à grande échelle se développent, la vapeur ne permet pas encore d'effectuer de longs voyages transocéaniques. Certes, les premières traversées commerciales de passagers entre l'Europe et l'Amérique s'établissent dès 1836 mais elles restent extrêmement coûteuses. Seuls, de gigantesques navires mixtes - voile et vapeur - entreprennent ces traversées et aucun ne fait confiance totalement à ses machines. Pourtant, si les grandes traversées sont encore le fief de la voile, la régularité de la vapeur permet de développer le transport de passagers le long des côtes et dans les estuaires non loin d'une escale permettant le réapprovisionnement en charbon. Sur le dessin, une de ces navettes est visible au milieu de la forêt de mâts. Mû par ses roues à aubes, le ferry est insensible aux vents contraires et aux forts courants marins fréquents dans cette région. Cependant, au-delà de la présence presque saugrenue d'un navire à vapeur au milieu de voiliers, c'est surtout l'importance de la flotte totale qui retient l'attention du peintre et ne manque pas de nous impressionner. Une trentaine de navires de toutes tailles se concentrent dans la baie faisant face à la ville. Bien que l'importance de cette dernière soit relativement difficile à évaluer sur la base de ce dessin, les progrès commerciaux et géographiques effectués depuis cinquante ans dans cette région sont plus que manifestes grâce à Le Breton. En ce qui concerne les progrès géographiques, il ne faut pas oublier que l'insularité de la Tasmanie n'a été devinée que quarante sept ans auparavant. En effet, d'Entrecasteaux se trouvant plus à l'ouest que son point ne l'indiquait alors qu'il longeait le sud de l'Australie en 1793, se demanda si un courant affluant dans un détroit entre cette dernière et la Tasmanie n'était pas responsable de la différence de calcul. Selon la relation du voyage de cette expédition que Rossel rédige en 1808, d'Entrecasteaux se "...proposait de remonter jusqu'à la pointe de Hicks en partant de la terre de Van Diemen, afin de vérifier si cette terre est séparée du reste de la Nouvelle-Hollande." et il "...avait voulu vérifier s'il existe un détroit... ainsi que j'en avais eu l'idée pendant la traversée... d'après les violents courants que nous avions éprouvés."[213]. Toutefois, par manque de temps, le chef de l'expédition ne peut satisfaire sa curiosité et doit poursuivre sa route à la recherche de La Pérouse. Ce détroit sera découvert cinq ans plus tard par l'Anglais Bass. Selon Rossel, le navigateur aurait suivi les traces du Français pour effectuer la découverte du détroit qui porte désormais son nom. Si d'Entrecasteaux ne peut confirmer ses prédictions au sujet du détroit, il est le premier à reconnaître le havre profond autour duquel Hobart sera construite. Les relevés hydrographiques de Tasman et de Cook prouvent que des Occidentaux s'étaient déjà abrités dans l'estuaire de la rivière Derwent. Toutefois, c'est durant l'expédition de d'Entrecasteaux que l'attention des Européens est attirée par les possibilités offertes pour une colonie de peuplement. "De tous les côtés, l'on apercevait des baies d'une immense profondeur, toutes également abritées contre les vents... Ancun des navigateurs de l'expédition n'avait encore vu dans ses voyages de mouillage aussi vaste et aussi sûr; toutes les flottes du monde pourraient s'y trouver assemblées et elles laisseraient encore de vastes espaces à remplir."[214]. L'avis de d'Entrecasteaux semble d'après Le Breton avoir été partagé rapidement. Non seulement la situation d'Hobart permet aux navires de relâcher en un endroit sûr malgré la force du vent de ces latitudes mais elle est également merveilleusement située sur la route du Pacifique que suivent les navires européens depuis le cap de Bonne-Espérance. D'un côté, la rapidité des changements dans cette partie du monde met en lumière les progrès importants effectués depuis l'aurore du XIXe siècle. De l'autre, elle permet de mieux concevoir que pour d'Urville la glorieuse période des découvertes géographiques est révolue et qu'il ne reste plus, en 1840, que des points de détail à rectifier ou un continent glacé à découvrir. Toutefois, si l'évolution dans les sciences géographiques durant la première moitié du siècle passé est apparent au travers de l'affluence de navires à Hobart sur le dessin de Le Breton, l'importance du développement économique de cette région est également un élément capital qui ressort de ce témoignage visuel. Il ne faut pas oublier que dans le Pacifique l'exploitation suit de près l'exploration. Port Jackson, lieu de déportation pénale des Anglais depuis la fin du XVIIIe siècle, se développe rapidement et nécessite des échanges réguliers avec la Métropole et les autres points de relâche éparpillés dans l'océan. Rapidement, Tahiti devient le lieu d'embarquement de cochons et de noix de coco à destination de l'Australie. La Patagonie et la terre de Feu servent le refuge à l'industrie baleinière internationale qui se développe à partir de 1815. De plus, les peaux du Nord-Ouest du continent américain, les soieries et les thés de Canton, les épices des Indes hollandaises, créent un trafic maritime intense qui se reflète admirablement dans le tableau du dessinateur du Dumont d'Urville. Témoignage vivants des expéditions, les dessins des peintres donnent une dimension nouvelle aux découvertes. Avant l'apparition de la photographie, ces oeuvres sont utilisées comme complément important aux récits des voyages, enrichissant d'autant le texte avec l'image. Que ce soit les scènes de la vie courante de Le Breton ou les peintures animalières de Quoy, toutes rehaussent l'importance des résultats en insistant sur la performance physique des marins ainsi que sur les travaux scientifiques effectués. 6.5 La publication L'oeuvre commencée lors des récoltes d'objets d'histoire naturelle ne sera pas terminée par Dumont d'Urville. Le 8 mai 1842, poussé par une fatale inspiration, le nouveau contre-amiral prend place dans un des wagons de tête du train partant de Montparnasse en direction de Versailles pour assister aux grandes eaux fonctionnant en l'honneur de la fête du roi Louis-Philippe. La rame, composée de dix-sept wagons en bois, est tirée par une motrice et poussée par une autre placée en fin de convoi. A hauteur de Bellevue, la vitesse de l'ensemble frise les quatre-vingts kilomètres à l'heure lorsque la petite locomotive de tête déraille et se couche en travers de la voie. Les wagons se télescopent et la deuxième motrice déverse sa réserve de charbon sur les premières voitures qui s'enflamment aussitôt. La panique qui s'ensuit est augmentée par le fait que les voyageurs ont été enfermés à clef avant le départ de la gare Montparnasse pour en interdire l'accès aux resquilleurs. C'est le phénologiste Dumoutier qui reconnaîtra la dépouille de son ami d'après le moulage en plâtre qu'il avait fait du crâne de son commandant. En ce qui concerne la femme du marin, elle sera identifiée grâce aux bijoux qu'elle portait sur elle. Quant à leur unique fils, seule la petite taille d'un squelette carbonisé parmi les autres de grandeur adulte permettra de faire le rapprochement entre ces débris humains et le dernier porteur du nom des Dumont d'Urville. La publication de la relation du Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée, commencée par le chef d'expédition dès son retour en France, sera continuée par les lieutenants de d'Urville jusqu'en 1854. Treize ans et trente volumes seront nécessaires pour achever l'oeuvre posthume du grand marin. Chapitre 7.0 Les voyages de Dumont d'Urville 7.1 Science ou "sport" ? En introduction de la relation de son second voyage, d'Urville écrit : "Je trouvais que rien n'était plus noble et plus digne d'une âme généreuse que de consacrer sa vie au progrès des sciences." Portant la science au pinacle, le navigateur est pourtant aussi un marin militaire et cette profession hautement hiérarchisée est la seule qui permet de mener à bien des expéditions lointaines durant les XVIIIe et XIXe siècles. Nous avons rapidement évoqué les résultats catastrophiques que la présence de civils ont provoqués lors des voyages de d'Entrecasteaux et de Baudin. En ce qui concerne celui de La Pérouse, la présence à bord de nombreux scientifiques et de leurs collections d'échantillons d'histoire naturelle n'est peut-être pas sans responsabilités dans l'échouage des corvettes sur les récifs de Vanikoro un jour de tempête. Est-il possible, dès lors, de considérer qu'une partie de la science jusqu'au milieu du siècle passé est subordonnée à la Marine et que par conséquent, la performance physique est un élément prépondérant des voyages de Dumont d'Urville ? Bien que la guerre ait été considérée comme "le sport pour de bon", en est-il de même des expéditions durvilliennes ? Si le navigateur avait été un petit homme rondouillard "à la Bougainville", élégant et prisé dans les salons, la question de savoir si l'aspect sportif est important ou non dans les expéditions du Normand ne se serait pas posée. Intéressée uniquement par les résultats scientifiques rapportés en grand nombre, notre attention se serait concentrée sur ceux-ci. Or, le caractère et le physique de d'Urville sont tels, qu'il nous semble impossible de ne pas tenter de découvrir, au-delà des buts politiques, religieux et scientifiques officiellement exposés, les motivations profondes de ce grand marin français. Lorsque l'on parle de prestige et d'exploit dans le domaine de la navigation à la voile, c'est ordinairement au tour du monde que l'on pense. Chacun se souvient des noms illustres de Cook, Bougainville et La Pérouse. Ces hommes, partis vers l'inconnu à bord de navires spécialement affrétés pour cet objet, se sont rendus célèbres par les résultats scientifiques obtenus et la publication de leurs récits de voyage. Ces relations de voyages fourmillent de détails concernant la vie à bord et les souffrances endurées pour mener à bien ces expéditions. Ainsi, un mythe se crée autour des marins au long cours qui s'intensifie proportionnellement aux dangers encourus, véritables ou romancés et l'exploit sportif donne un lustre supplémentaire aux commandants, conformément à l'adage bien connu considérant que "vaincre sans péril, c'est triompher sans gloire". La gloire est importante pour Dumont d'Urville. Certes, les expéditions de découvertes officielles n'ont pas d'ennemis à combattre et jouissent au contraire d'un statut international leur garantissant une certaine neutralité. Toutefois, si les rivalités occidentales ne présentent pas de danger pour les "marins-savants" entre 1750 et 1850, le problème principal reste l'environnement hostile dans lequel ceux-ci doivent évoluer pour tenter de survivre. Le danger est le pain quotidien du personnel de la "marine-savante" jusqu'à d'Urville et il semble que celui-ci exerce une fascination particulièrement grande sur le dernier représentant de cette école. Entrant dans le détroit de Magellan, d'Urville affronte au près, les forts vents d'ouest dominant, avec ardeur et sang froid, autant pour mener son navire à bon port que pour impressionner son équipage : "[Ces manoeuvres prouvent] ...à tous qu'au besoin l'on ne me verrait pas manquer d'audace ni de présence d'esprit, et c'était ce que je voulais faire comprendre aux deux équipages. Je leur promis ...que ce bonhomme leur en ferait voir en navigation comme ils n'en avaient jamais vu... Au sortir du détroit, les matelots des deux navires, en parlant de nos opérations dans ce canal, aimaient à répéter : ce diable d'homme est enragé; il nous a fait raser les roches, les écueils et la terre, comme s'il n'avait jamais fait d'autre navigation dans sa vie."[215]. En fait, ce premier coup d'éclat du commandant est loin d'être le dernier. Au contraire, il semble que la personnalité de d'Urville ne peut s'épanouir qu'en présence de dangers, dans l'action la plus brutale. Par exemple, en entrant dans une baie de Patagonie, l'Astrolabe talonne sur un haut-fond non signalé. Pour la première fois, l'équipage se trouve dans une situation difficile, provoquant un début de panique parmi les marins. Debout sur le pont, sûr de lui-même, d'Urville prend la direction des opérations en mains et remonte le moral de ses hommes en une phrase qui deviendra la devise de l'expédition : "Ce n'est rien du tout et vous en verrez bien d'autres." De plus, la première pointe au Sud à failli être fatale pour les deux corvettes qui se sont retrouvées ceinturées d'icebergs. Pourtant, le chef de l'expédition ne semble pas particulièrement troublé par cette situation qui menace de les engloutir en fracassant les navires entre les montagnes de glace. Confiant, "...comme c'est mon habitude en pareil cas, après avoir fait en sorte de calculer par la pensée toutes les chances fâcheuses et tous les moyens possibles d'y parer, je ne tardais pas à m'endormir d'un sommeil assez profond."! D'autre part, il ne faut pas oublier que si les instructions du roi insistent pour effectuer une reconnaissance sur les pas de Weddell, c'est le commandant qui est la dernière autorité du bord. C'est donc à lui qu'incombe la responsabilité de ne pas compromettre la sécurité des membres de l'expédition. La remarque de Jacquinot, subordonné discipliné mais sans oeillères de d'Urville considérant qu'il y eut de la témérité de s'engager ainsi dans les glaces, dénote une volonté farouche du chef de bord de pousser l'équipage jusqu'à ses limites extrêmes. L'obstination de d'Urville de mener ses hommes et ses navires jusqu'au bout de leurs possibilités n'est pas sans danger. Sa tentative infructueuse de se diriger vers le pôle Sud depuis la Patagonie, demande un tel effort physique aux marins privés de nourriture fraîche, que de nombreux cas de scorbut se déclarent. En accord avec les théories airistes du moment, d'Urville est convaincu que cette maladie est due en grande partie à l'humidité et à l'air marin dans lesquels sont exposés les hommes pendant une longue période. Retournant au Chili faire escale après son insuccès de la mer de Weddell, d'Urville note dans son récit de voyage les bienfaits de la terre. "Depuis longtemps on a dit que la vue seule de la terre fait du bien aux personnes atteintes du scorbut. Durant le cours de ma carrière ce triste mal m'ayant toujours été étranger, je n'avais pu m'assurer de l'exactitude de ce fait; mais je pus cette fois en voir un exemple bien saillant. ...Des malheureux que le fléau avait déjà si cruellement frappés... éprouvèrent une certaine vigueur au simple aspect de la terre... l'air de la terre et des aliments sains et abondants allaient promptement remettre sur pieds les malheureux que le mal avait terrassés. ...Probablement quelques jours de plus de cette triste navigation auraient suffi pour renouveler sur nos deux navires ces affreuses catastrophes qui étaient encore si fréquentes pour les navigateurs du dix- huitième siècle."[216]. De ce passage, trois remarques doivent être soulevées. D'abord, il est bien évident que les "riantes collines" de la presqu'île de Talcahuano au Chili, "peuplées tour à tour de forêts, de jardins et d'humbles vergers au milieu desquels le chant des oiseaux se mariait aux cris si variés de divers animaux domestiques", sont suffisantes pour redonner du baume au coeur de l'homme le plus malade en provenance de la triste contrée antarctique. Ensuite, d'Urville est sûr que l'air de la terre et les aliments sains et abondants de l'escale vont soigner rapidement son équipage. Toutefois, la conception airiste selon laquelle l'air marin contribue à la maladie est aussi erronée que celle voyant dans l'abondance de nourriture "saine" la réponse au scorbut. En effet, ce n'est pas dans une conjonction de facteurs négatifs - climat, hygiène, nourriture, situation géographique, âge des hommes, origines - qu'il faut chercher les raisons du scorbut. Ceux-ci mènent inévitablement à des conclusions erronées, le scorbut n'étant pas provoqué par la présence d'un ou de plusieurs éléments particulièrement nocifs, mais bien par la carence en vitamine C. Enfin, en ce qui concerne la dernière phrase de cet extrait, le caractère de d'Urville apparaît de manière brillante. Certes, à l'époque des voyages de d'Urville, le monde ignorait l'existence et le rôle joué par les vitamines. Pourtant, le navigateur normand a lu les récits de ses devanciers. Il connaît par coeur les parcours empruntés par Cook et ses mesures scientifiques mais néglige les enseignements pratiques, préférant se baser sur sa propre expérience. Sûr la Coquille, sa santé avait été excellente durant trente-trois mois et sur l'Astrolabe, lors de son premier commandement, aucun cas de scorbut ne s'était déclaré. Sûr de lui, il n'imagine pas une seconde la possibilité d'être frappé par une de ces "affreuses catastrophe." Ignorant l'expérience de Cook mettant en lumière les vertus de la choucroute, du chou salé, du sirop à base de jus de citron et d'orange, des carottes et des oignons [217], d'Urville continue de croire à sa bonne étoile et aux théorie du moment, soixante ans après les succès de son prédécesseur dans la lutte contre cette maladie... En fait, la manière de d'Urville de conduire ses hommes s'avère dramatique. Sur cent trente-sept marins embarqués à Toulon, vingt-huit meurent en route [218]. Bien que la dysenterie et le scorbut restent les deux causes majeures de décès, le programme du chef de l'expédition ne permet pas à l'équipage de récupérer totalement ses capacités physiques après chaque traversée éprouvante, fragilisant ainsi son équipe et causant des décès supplémentaires. S'imposant également pareil traitement, les attaques de goutte dont le commandant souffre ordinairement prennent une telle ampleur en Océanie, qu'il rédige son testament au cours d'une navigation, léguant sa tête au phrénologiste Dumoutier pour qu'il la conserve précieusement dans le l'esprit-de-vin [219]! Malgré le manque de repos nécessaire à tous les membres de l'expédition, l'entêtement du chef désireux de mener une seconde tentative en direction du Pôle dans le courant de l'été austral suivant prélève un important impôt humain sur l'équipage : "...les faux-ponts étaient encombrés de malades. ...jusqu'à Hobart Town notre navigation ne fut pour ainsi dire qu'une scène de deuil et de mort où chaque jour j'avais à inscrire le nom de quelques nouvelles victimes enlevées soit à l'Astrolabe, soit à la Zélée." [220]. Sur le second navire, l'avis du quartier-maître Seureau sur la question n'est pas plus rassurant : "Nos malades était toujour plus mal, personne ne pouvait les toucher sans quils fasse des cris épouvantables... Notre faux pont était pir que des comun à force quil infectait." [221] [222]. Cependant, malgré les efforts extrêmes que d'Urville impose à son équipage et à lui-même, il semble être apprécié par les membres de l'expédition malgré les pertes humaines. Il faut se rappeler que les marins d'une telle aventure se serrent les coudes depuis la disparition des "soi-disants savants" indisciplinés et prétentieux qui peuplaient les expéditions précédentes. Désormais, tous se sentent appartenir à la même communauté de fortune - ou d'infortune - et font littéralement partie du même bateau ! De plus, les dangers sont connus d'avance [223] et acceptés. Dans ce contexte, se plaindre serait déplacé voir même impensable pour les membres des explorations. En fait, même s'il ne s'arrête pas suffisamment longtemps pour ménager ses marins, le commandant est conscient de la situation. Comme en témoigne Seureau dans son Journal, "...d'Urville est venue à bord pour s'assurer de la positions de l'équipage, car il pancait quelle devait etre comme la sienne en mauvait étât. Il venait de perdre deux hommes et le troizième à la fin d'éxpirer."[224]. Comme nous venons de l'exposer, les voyages de d'Urville sont loin d'une promenade de santé. Menés d'une main de fer par un capitaine opiniâtre, ses équipages, pourtant spécialement choisis pour l'occasion, souffrent énormément. Plus d'un tiers des hommes embarqués manquent au retour [225]. Marin par goût de l'aventure et de la science, d'Urville aura toujours beaucoup de difficulté à s'accommoder des contraintes de son rôle militaire. Pourtant, profitant de l'ordre et de la hiérarchie en vigueur dans la Marine, il réussit à mener ses navires jusque dans les parages les plus dangereux de la planète. Poussé par une soif de connaissances aussi inextinguible que l'est sa quête de gloire, Dumont d'Urville est le dernier représentant de la longue lignée de "marins-savants" qui, de 1750 à 1850, comptent sur leurs propres capacités intellectuelles et physiques pour tenter de faire progresser la science au péril de leurs vies. "[Ses] ...successeurs ne seront plus que des fonctionnaires de la science et de la circumnavigation. Ils travailleront sur des sujets très précis, en des endroits bien répertoriés à l'avance, où rien d'imprévu ne devra se passer. Bien sûr, il y aura des paysages, des hommes, des civilisations à découvrir, à comprendre, mais ce ne sera plus l'aventure qui fait les exploits, les catastrophes, les grandes découvertes, le renom, la célébrité. Ce nouveau monde ne sera plus celui de Dumont d'Urville." [226]. 7.2 La postérité Tout au long de sa vie, Dumont d'Urville pousse loin l'art de ne jamais se faire oublier. Comptant sur ses qualités autant que sur ses relations pour gravir les échelons de la hiérarchie navale, il ne laisse aucun répit aux ministres de la Marine pour obtenir les récompenses qu'il estime dues dès ses retours d'expéditions. Certes, la promotion de ses officiers apparaît plus importante que la sienne dans ses recommandations aux Ministres. Cependant, conscient qu'une reconnaissance des services rendus par ses subordonnés mène quasi inévitablement à la promotion du chef de la mission, Dumont d'Urville a intérêt à considérer ses voyages et leurs résultats comme un travail d'équipe. Enseigne de vaisseau à vingt-deux ans, lieutenant à trente, capitaine à trente-cinq, contre-amiral à cinquante ans, Dumont d'Urville reçoit de son vivant des honneurs en accord avec ses qualités de marin et ses travaux de savant. Comparativement aux carrières des officiers embarqués durant la seconde expédition, la promotion du chef est plus rapide, particulièrement dès l'obtention du grade de capitaine de corvette[227]. Toutefois, la différence entre Dumont d'Urville et ses camarades n'est pas très importante et son caractère naturellement chicanier et revendicateur le pousse à considérer ces reconnaissances comme étant trop tardives eu égard à ses qualités. Pourtant, si Dumont d'Urville est consacré de son vivant par les académies savantes et la Marine nationale, qu'en est-il après sa mort ? Avant toute chose, il est clair que le "lieu de mémoire" le plus représentatif de l'oeuvre du navigateur est la série imposante de publications parues sous son nom. Comme nous l'avons vu, les éditions de relations de voyages prennent une ampleur encore jamais atteinte depuis la Restauration. L'engouement scientifique pour la découverte pluridisciplinaire du globe est tel, que les chefs des expéditions officielles ont tout loisir de mettre en forme leurs récits d'aventures lointaines pour la postérité. En ce qui concerne d'Urville, le Voyage de l'Astrolabe et le Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée, forment deux monuments littéraires érigés par et pour la gloire de l'explorateur, même si le second récit est terminé après son décès. De plus, grâce à ces publications monumentales, l'empreinte de Dumont d'Urville se répand dans les cercles savants. En effet, ayant eu le privilège de trouver et de décrire plusieurs espèces animales et végétales peu ou pas décrites antérieurement, Dumont d'Urville leur donne son nom en accord avec la tradition en vigueur chez les scientifiques. Toutefois, cette dénomination in situ, contrôlée après le retour des botanistes et des zoologistes avec la littérature des bibliothèques spécialisées, est rarement définitive dans une période de concurrence scientifique internationale où les publications ne sortent de presse que plusieurs années après les récoltes de spécimens. Sans vouloir être exhaustif, citons quelques exemples de postérité des expéditions de d'Urville contenus au sein des règnes animal et végétal. Tout d'abord, le Rollier d'Urville ou Coracias papuensis dont ses caractéristiques et son dessin figurent en annexe, illustre à merveille cette tradition. Moins prestigieux qu'un oiseau, mais tout aussi important pour les botanistes, les diverses algues portant le nom de d'Urville sont des traces importantes des travaux effectués dans le Grand Océan. L'Hydropuntia Urvillei, l'Halymenia Urvilliana et la Marginaria Urvilliana [228], conservent toutes trois une trace de l'héritage du "marin-savant". Plus connue du public, la mémoire de Dumont d'Urville est immortalisée par une rue à son nom dans la capitale française. Non loin de là, au cimetière Montparnasse, un monument funéraire contenant les corps de la famille décimée à Versailles rappelle au passant le parcours extraordinaire et le décès tragique du plus grand marin de découvertes français de son temps. A Condé-sur-Noireau, ville natale de Dumont d'Urville, une statue à la mémoire de l'illustre citoyen a été érigée au centre-ville. Sur son socle [229], des bas reliefs illustrant les hauts faits de la vie du contre-amiral perpétuent la brillante carrière de l'enfant du pays. Bien que la dénomination d'une rue de Paris ou l'élévation d'une statue participent au maintien du souvenir de l'explorateur au sein d'une partie de la population, la création de la base Dumont d'Urville en Antarctique permet au plus grand nombre de connaître l'importance du marin pour la découverte du sixième continent. La reprise des explorations polaires françaises après la Deuxième Guerre mondiale confirme la souveraineté de la France sur la terre Adélie et popularise le nom du voyageur grâce aux médias qui répercutent dans le monde les résultats de ces entreprises. Enfin, la reconnaissance de l'oeuvre du contre-amiral par la Marine française n'est pas en reste. Un bâtiment de la Royale porte dorénavant le nom de Dumont d'Urville et l'intéressé lui-même n'aurait peut-être pas renié cet honneur de la part de ses pairs; même si son antimilitarisme et son goût de la polémique permettent de douter de son approbation éventuelle quant à l'utilisation de son patronyme pour baptiser un navire de guerre... Toujours est-il que le souvenir du marin se perpétue avec ce navire et se diffuse sur les océans au rythme des missions effectuées. Une des dernières en date, largement médiatisée, est celle de mars 1995. Dans le lagon de Bora-Bora, conformément aux dernières volontés de l'explorateur polaire Paul-Emile Victor, sa dépouille mortelle fut immergée non loin du motu Tané où il passa les dix-neuf dernières années de son existence. Le gouvernement français, conscient du symbolisme de cette cérémonie, décida d'utiliser à cette occasion le bâtiment Dumont d'Urville de la Marine nationale. Par les publications effectuées de son vivant et les honneurs posthumes reçus, le nom de l'illustre marin reste présent dans le souvenir populaire. De plus, les nombreux caps, sommets ou îles portant des traces des expéditions officielles gravées sur les mappemondes, maintiennent vivant le souvenir des voyages de Dumont d'Urville et assurent ainsi la postérité de ses découvertes. Conclusion Comme nous l'avons démontré, à la suite de la première expédition de Dumont d'Urville, de subtils changements jusque-là sous-jacents apparaisssent. L'exploration pour elle-même, pour la science, joue un rôle décroissant en faveur des activités commerciales et coloniales. Le second voyage de d'Urville s'insère comme le seul de découvertes au milieu d'une série d'entreprises à spécificités politique et économique. L'élévation de la classe moyenne possédante et le développement de la Révolution industrielle constituent autant de facteurs d'expansion coloniale qui, s'ils changent l'aspect de la société française, bouleversent à fortiori l'organisation pluriséculaire des populations de l'Océanie. Le négoce ne pouvant se maintenir sans protection navale et représentation diplomatique, l'entrée des îles du Pacifique dans le giron des puissances occidentales devient inéluctable, comme autant de pions sur le grand échiquier de la rivalité franco-anglaise. Certes, les expéditions de Dumont d'Urville conservent un caractère à prédominance scientifique. Toutefois, il serait erroné de concevoir les missions officielles de découvertes françaises comme totalement étrangères aux développements des intérêts stratégiques du pays. L'approfondissement de la connaissance du Grand Océan s'accompagne graduellement de visées expansionnistes grâce aux activités de la "marine-savante" et ouvre la voie à l'occupation des terres et à la colonisation. De plus, la lutte religieuse en arrière-plan des différentes expéditions du premier XIXe siècle, constitue une autre facette de la longue rivalité entre la France et l'Angleterre. Permettant d'occulter les ambitions stratégiques et politiques des deux pays en faveur d'un motif moralement acceptable pour les Occidentaux, le prétexte de christianisation des insulaires rend justifiable la destruction des anciennes structures sociales des peuples de l'Océan. Dès lors, en focalisant officiellement l'attention des représentants nationaux sur la "lutte religieuse" entre les deux Nations, l'anéantissement des cultures océanes s'effectue sans heurt, permettant l'établissement progressif des Européens en Océanie. Le manque d'études approfondies ne permet pas de mettre suffisamment en lumière la richesse des voyages de Dumont d'Urville. La masse d'informations spécialisées dans des domaines aussi variés que la phrénologie, la linguistique ou le géomagnétisme, semble défendre l'accès à une présentation approfondie de la spécificité des expéditions durvilliennes. D'ailleurs, les réactions des scientifiques de l'Académie chargés de l'évaluation des travaux que nous avons inclus dans notre essai, démontrent la difficulté d'approche de résultats aussi nombreux. Il serait judicieux, nous semble-t-il, d'étudier une science après l'autre pour saisir l'importance dans chaque domaine des passages de d'Urville dans le Pacifique. Faute de ce travail nécessairement minutieux, spécialisé et de longue haleine, les tentatives d'études ultérieures du navigateur normand ne réussiront guère mieux que les travaux antérieurs à démontrer la valeur de l'oeuvre laissée par cet esprit universel. Au milieu des transformations technologiques et structurelles qui s'opèrent dans le courant du XIXe siècle, Dumont d'Urville se veut être avant tout un explorateur. Reprenant la tradition en vigueur depuis 1750, c'est lui qui propose les expéditions qu'il veut entreprendre. Ces voyages ont des buts principalement scientifiques, même si la protection des intérêts nationaux fait partie des instructions définitives. Le magnifique butin rassemblé, compose la plus belle preuve des efforts désintéressés des équipages de d'Urville et peu de documents sont aussi suggestifs de la flore, de la faune, des naturels et des paysages de l'Océanie, que les grands atlas de l'Astrolabe et de la Zélée. De plus, la découverte de la terre Adélie peut être considérée comme la pièce maîtresse des efforts du navigateur, même si l'intérêt de Louis-Philippe pour le Grand Sud crée le lien de causalité adéquat entre les projets tropicaux de d'Urville et les manchots du continent Antarctique. Loin de chercher à dissocier les exploits du navigateur de leur contexte historique, il est nécessaire d'insister sur la complémentarité entre les découvertes scientifiques de la "marine-savante" et la progression de la présence occidentale dans le Grand Océan. Deux moments d'une même évolution, le développement de la science et de la colonisation dans le Pacifique puisent leurs racines dans les Grandes Découvertes du long XVIe siècle, tout en préfigurant les rivalités contemporaines comme celle de la conquête spatiale. Dès lors, entre un passé plus volontiers employé a développer les connaissances humaines et un avenir pressé d'occuper des territoires pour étendre le commerce et le prestige national, Dumont d'Urville se démarque comme étant l'un des plus grands et l'un des derniers représentants de la longue lignée des "marins-savants". Annexes Annexe 1 : La première partie de cette annexe représente la scène de la découverte de la Vénus de Milo. Face à la statue et au paysan grec Yorgos, Voutier, élève de Marine, effectue un croquis afin d'illustrer son rapport vantant la beauté de l'oeuvre d'art déterrée le jour même. A son côté, Brest, le représentant de la France à Milo, regarde avec attention et dénote un grand intérêt pour la sculpture. La pelle aux mains du paysan est l'élément principal de la scène rappelant que la découverte ne date que de quelques heures. En arrière plan, un autre homme pioche dans les flancs du coteau de Milo afin de retirer également des vestiges de l'ancienne Mélos. Cette activité met en évidence la course aux antiquités qui a lieu au début du XIXe siècle dans laquelle s'inscrit la découverte de la Vénus. Le croquis suivant est celui effectué par Voutier le jour de la découverte selon la scène précédente. Le soin porté pour faire ressortir les traits caractéristiques de la statue témoigne que la reconnaissance de la valeur de la sculpture a été reconnue dès les premiers instants par l'élève de Marine et qu'il est par conséquent, le premier découvreur. Tirés de Jean-Paul ALAUX, La Vénus de Milo et Olivier Voutier, Galion d'Or, Paris, 1939, p. 9 et page de titre. Annexe 2 : Sur ce bas-relief de la statue érigée à Condé-sur-Noireau en l'honneur de l'illustre enfant du pays, la scène de la découverte de la Vénus est également représentée. Cependant, eu égard à l'annexe précédente, la découverte est ici décrite de manière fort différente. Le paysan équipé de sa pioche suggère que la trouvaille est récente et la position de la statue encore couchée sur des cailloux anguleux corrobore ce fait. Toutefois, aucune mention n'est faite de l'élève de Marine Voutier. Le jeune officier derrière d'Urville n'est pas identifié mais le second personnage d'âge mûr est Brest, l'agent consulaire de la France à Milo. Seul, Dumont d'Urville se penche sur la statue avec un vif intérêt : touchant d'une main la Vénus, le marin semble se l'approprier. La littérature (voir la Bibliographie sous Histoire de la Vénus) concernant la découverte précise que d'Urville a bien tenté d'acheter le marbre antique mais que le prix demandé par le paysan était excessif. Grâce à son rapport lu à l'Académie des sciences que le "marin-savant" inscrit son nom à côté de celui de la Vénus et omet de mentionner les autres personnes concernées, s'accaparant ainsi la gloire liée à la découverte de ce chef-d'oeuvre. Ce bas-relief, outre qu'il "oublie" de représenter Voutier, induit en erreur sur deux points supplémentaires. D'abord, la statue a été trouvée cassée en deux morceaux, comme l'indique l'annexe précédente. Ensuite, les vestiges de l'ancienne Mélos étaient à peine visibles au début du XIXe siècle. Bien que le petit amphithéâtre en marbre ait été acheté par le prince de Bavière quelques années plus tôt, les autres monuments étaient tous cachés par l'exhaussement du sol. En aucun cas, un joli petit temple antique ne subsistait en parfait état, comme le suggère la représentation et celui-ci semble avoir été placé là par le graveur dans le seul but de rappeler l'origine hellène de la statue. Tirés de Jean-Paul ALAUX, La Vénus de Milo et Olivier Voutier, Galion d'Or, Paris, 1939, p. 17. Annexe 3 : Cette annexe représente la mappemonde de l'atlas de Mercator de 1595. L'importance du mythique continent austral est évidente sur cette représentation. Elle permet de comprendre l'intérêt manifesté par les Occidentaux depuis Théopompe et plus particulièrement depuis des Grandes Découvertes du "long XVIe siècle", laissant miroiter des richesses insoupçonnées dans cet immense territoire supposé exister dans l'hémisphère sud. En se frayant un chemin entre la Patagonie et le continent austral, Magellan ne pouvait s'imaginer que l'étendue au sud de la terre de Feu n'était qu'une île de petite dimension et qu'en aucun cas ce territoire ne remontait jusque sous les tropiques. Les terres à l'origine de la tradition n'obtiendront leur place définitive sur les mappemondes qu'après les expéditions de Cook au XVIIIe siècle qui créent une rupture épistémologique dans la vision qu'avaient les Occidentaux de la géographie de la Terre depuis la création du mythe lié à la Terra Australis. Tirée de Georges ALINHAC, Historique de la cartographie, 2 vol., Institut géographique national, Paris, 1965, vol. 2, p. 46. Annexe 4 : Cette carte ainsi que l'annexe suivante permettent d'avoir une vue d'ensemble des progrès effectués dans le domaine de la géographie de l'Océanie depuis les Grandes Découvertes jusqu'à 1842, date de la mort de Dumont d'Urville. La chronologie en pied de page fournit un rapide survol des différentes expéditions ayant participé au dévoloppement de la connaissance de cette partie du monde entre 1488 et 1771. Tirée de Etienne TAILLEMITE, Sur des mers inconnues, Gallimard, Paris, 1987, pp. 198-99. Annexe 5 : Pareille à l'annexe précédente, cette carte générale donne une vision d'ensemble des voyages principaux ainsi qu'une chronologie des expéditions entre 1769 et 1842, date de la mort de Dumont d'Urville. Tirée de Etienne TAILLEMITE, Sur des mers inconnues, Gallimard, Paris, 1987, pp. 198-99. Annexe 6 : Ces deux cartes du continent Antarctique permettent de se représenter le parcours de d'Urville lors de sa tentative effectuée en 1838 pour dépasser la limite atteinte par Weddell. Sur la seconde carte, la position supposée du navigateur anglais est visible. A gauche de la péninsule, le point extrême atteint par le Russe Bellingshausen figure en bonne place près des îles Alexandre 1er et Charcot. Ce navigateur est le premier à avoir publié une carte marine sur laquelle apparaît les côtes du continent gelé. Dix-neuf ans avant Dumont d'Urville, la découverte au début du siècle de la terre de Graham traduit l'importance des activités de chasse et de pêche qui s'effectuent depuis la terre de Feu après les guerres napoléoniennes. Toutefois, la prestigieuse découverte pour la France et pour Dumont d'Urville de la terre Adélie - petit morceau de côtes d'un vaste continent - doit être étudiée à la lumière des autres explorations antarctiques afin de la remettre dans son contexte de progrès géographiques qui s'effectuent à cette période. Tirées de Jacques GUILLON, Dumont d'Urville, France-Empire, Paris, 1986, pp. 170 et 200. Annexe 7 : Détail de la carte des îles Salomon ndeg. 913. Cette carte sera utilisée par la Marine nationale française jusqu'au second conflit mondial, date à laquelle de nouvelles données hydrographiques de cet archipel permettront de mettre à jour les documents nautiques. Le nom de cette partie de la carte intitulée "Havre de l'Astrolabe", rappelle le passage de Dumont d'Urville dans ces régions reculées. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas hydrographique, pl. 19. Annexe 8 : Carte de la terre Louis-Philippe découverte par Dumont d'Urville en 1838 lors de sa première tentative au pôle Sud. Située à l'extrémité de la péninsule antarctique, elle est frôlée par un Dumont d'Urville déçu de n'avoir pas réussi à dépasser la limite de Weddell. Cette carte vient s'ajouter aux tentatives effectuées précédemment pour hydrographier des côtes poissonneuses et riches en phoques où s'approvisionnent de nombreux chasseurs en provenance d'Europe ou d'Amérique du Nord. Conformément à ses préférences pour une nomenclature respectueuse des autochtones, Dumont d'Urville se permet là de donner des noms européens à cette terre vierge de toute habitation. Noter l'île de l'Astrolabe, les monts d'Urville et Jacquinot, le cap Goupil, etc... Toutes ces dénominations perdurent de nos jours, assurant ainsi la postérité du passage de l'exploration française. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas hydrographique, pl. 7. Annexe 9 : Carte de la terre Adélie découverte par Dumont d'Urville en janvier 1840. Bien que constituant une grande découverte géographique, cette côte se trouve dans des parages si détestés par le marin, que sans le "désir" de Louis-Philippe, la France n'aurait pas été une pionnière de l'exploration antarctique au XIXe siècle. Noter la pointe Géologie près de laquelle des hommes ont débarqué pour la première fois en 1840 depuis le début de l'humanité. De nos jours, la base Dumont d'Urville se situe non loin de là et est utilisée pour des mesures climatiques par des scientifiques du monde entier. Sur la carte, les icebergs ont été soigneusement dessinés. Certes, ils ne se trouvent certainement plus à leur place actuellement mais ils témoignent du danger de slalomer avec des navires à voiles dans des parages aussi peu propices à la navigation. Les zigzags en haut à gauche de la carte rendent compte de l'acharnement avec laquelle d'Urville a tenu a étudier toutes les possibilités de compléter sa découverte malgré sa préférence avouée pour les mers chaudes. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas hydrographique, pl. 34. Annexe 10 : Dessins d'indigènes océaniens effectués lors du voyage de 1826-1829. Noter les détails peints par les dessinateurs : (cheveux, bijoux, forme des yeux etc...). C'est par l'étude de dessins tels que ceux-ci, ainsi que par ses travaux linguistiques effectués sur les peuplades océaniennes, que Dumont d'Urville divise l'Océanie en quatre régions distinctes : la Polynésie, la Micronésie, la Mélanésie et la Malaisie. Les tatouages des hommes, leurs décorations, leurs langage ainsi que l'étude de leurs moeurs et coutumes, permettent au navigateur de percevoir en premier les quatre origines différentes des peuples du Pacifique et d'offrir au monde une répartition acceptée universellement. Tirés de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1830, Atlas historique, t.1, pl. 84 et 186. Annexe 11 : Dessin du Rollier d'Urville, oiseau découvert et décrit par les membres de la première expédition. Selon la littérature contemporaine (voir la Bibliographie rubrique Histoire naturelle), la famille des Coraciidae Rollers contient dix-sept espèces dont une seule vit en Nouvelle-Guinée. Il s'agit du Broad-billed Roller ou Dollar bird en anglais, au nom latin de Eurystomus orientalis (Linné). Deux sous-espèces sont présentes en Nouvelle-Guinée, le Eurystomus orientalis pacificius (Latham) 1801, qui migre d'Australie et le Eurystomus orientalis waigionensis (Eliot) 1871, qui est une sous-espèce locale. Les deux sous-espèces de la famille des Coraciidae Rollers possèdent des teintes variables selon les régions. Légèrement plus clair, le Pacificius porte également sous les ailes deux taches blanches en forme de "silver dollar", d'où son surnom de Dollar bird. Le nom de la famille Roller ou Rollier en français, provient des acrobaties dont cet oiseau est capable, tonneaux, vrilles, etc... En ce qui concerne le Rollier d'Urville, ou Coracias papuensis, il est probable qu'il s'agisse d'une des deux sous-espèces représentées en Nouvelle-Guinée. Dans ce cas, ni le nom d'Urville, ni le nom latin donné par les zoologistes de l'expédition ne perdurent de nos jours dans les catalogues ornithologiques; à moins que d'Urville aie rencontré une espèce rarissime du "hâvre de Dorey" qui n'a pas retenu l'attention des ornithologues suivants. Toutefois, en étudiant les dates des descriptions des deux sous-espèces - 1801 et 1871 - la probabilité est grande que le Coracias papuensis ou Rollier d'Urville soit le Eurystomus orientalis waigionensis ou Broad-billed Roller de la littérature. Dans ce cas, l'ornithologie contemporaine a effacé toute trace de l'explorateur français. Il serait intéressant de poursuivre la recherche pour connaître d'après quel(s) spécimen(s) Eliot a classifié le Waigionensis. S'il s'agit d'un exemplaire rapporté par l'expédition ou les descriptions effectuées par les zoologistes de l'Astrolabe, d'Urville ne se serait alors pas trompé : l'oiseau trouvé au havre de Dorey était bien une sous-espèce nouvelle. Tiré de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1830, Atlas de zoologie, pl Annexe 12 : Description du Rollier d'Urville. En parallèle des descriptions picturales telle que celle de annexe 11, des relations de voyage de Dumont d'Urville contiennent également des descriptions littérales. Placées en complément de l'image, ces descriptions complètent les dessins et insistent sur les aspects peu visibles de l'espèce étudiée. Seules des descriptions d'une grande précision permettent aux scientifiques de retour en France d'effectuer des recherches dans la littérature et de comparer leurs trouvailles avec des spécimens déjà rapportés en Europe. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1830, zoologie, p. 220. Annexe 13 : Dessins de trois différentes espèces d'algues considérées comme nouvelles effectués par les botanistes du second voyage : L'Hydropuntia Urvillei, l'Halymenia Urvilliana et la Marginaria Urvilliana. Il serait intéressant, nous semble-t-il, de rechercher l'appellation actuelle des différentes espèces nommées par les scientifiques des voyages de Dumont d'Urville. Toutefois, étant donné le grand nombre d'espèces et de sous-espèces collectées et nommées lors de ses explorations, ce travail serait nécessairement de longue haleine. Les synonymies qui ne manqueraient pas de se faire jour, comme cela est le cas pour le Rollier d'Uville de l'annexe précédente, proviennent de l'accélération de la publication d'ouvrages d'histoire naturelle au XIXe siècle, qui ne permet pas aux navigateurs d'embarquer tous les recueils contenant les dernières découvertes. Tirés de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1830, Atlas de botanique, pl. 1, 3 et 13. Annexe 14 : Planche de fossiles récoltés lors du second voyage. Comme pour les autres domaines, l'expédition a décrit de nombreux spécimens de fossiles dont certains sont considérés nouveaux. Le numéro 1, Fusus Durvillei témoigne de la volonté des paléontologues de trouver une place dans les classifications à tous les spécimens ne figurant pas encore dans les ouvrages embarqués. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1830, Atlas de paléontologie, pl. 2. Annexe 15 : Scène de la vie courante dessinée par Le Breton durant de voyage de 1837-1840: l'Astrolabe prise dans les glaces. L'importance de l'image dans une période de grand développement de la "photographie", pousse les chefs d'expéditions à embarquer des dessinateurs capables de reporter les hauts faits des voyages. Chargé de reporter les événements notoires lors du second commandement de d'Urville, Le Breton n'oublie pas de ramener un témoignage de son passage dans les glaces de l'Antarctique. La précarité de la situation dans laquelle le commandant a conduit son équipage est patent sur ce dessin. A la merci des blocs de glace, la coque du navire souffre énormément et seul un vent bien orienté et d'une puissance importante réussit à dégager l'expédition vouée à une mort certaine. Certes, les corvettes étaient équipées d'un éperon "brise-glace" à la proue lors des expéditions en partance pour le Sud. Pourtant, à cause de la brutalité des chocs, cette protection n'a pas résisté aux premières rencontres avec les icebergs. Incapables de remonter au vent et de se déhaler autrement qu'à la voile, les navires en bois étaient très vulnérables dans un tel environnement. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas historique, t. 1, pl. 23. Annexe 16 : Dessin de Le Breton représentant la prise de possession de la terre Adélie le 19 janvier 1940. Cette scène est la plus connue du second voyage de découvertes. La découverte d'un endroit jusqu'alors inconnu constitue un exploit de plus en plus rare au milieu du XIXe siècle. Grâce aux désirs de Louis-Philippe et aux efforts de Dumont d'Urville, la France peut s'enorgueillir d'avoir participer à la découverte d'une partie du dernier continent de la planète. Noter la place que prend le dessinateur durant cette cérémonie importante. A côté de la mise en place des couleurs et du vin de Bordeaux nécessaire à la déclaration solennelle de prise de possession, le peintre joue un rôle non négligeable : celui d'emporter une représentation de l'endroit afin de rendre compte de l'événement. Tirée de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas historique, t. 1, pl. 171. Annexe 17 : Dessin de Le Breton de la rade de Hobart. D'une part, la supériorité de la voile sur la vapeur en 1840 est évidente par cette représentation de ce noeud maritime important du siècle dernier. Au centre, un petit bateau de transport de personnes à roues à aubes est dessiné et témoigne des premiers essais effectués en Tasmanie pour propulser des navires à l'aide de la vapeur. Toutefois, faute d'un grand nombre de stations de ravitaillement, seules de petites traversées sont possibles à cause du carburant nécessaire pour un tel système de propulsion. D'autre part, le grand nombre de navires présents met en lumière le développement commercial de cette partie du monde au milieu du XIXe siècle. Le havre découvert par d'Entrecasteaux et hydrographié par Beautemps-Beaupré soixante ans auparavant semble avoir été d'une grande utilité par les commerçants en provenance d'Europe et d'Amérique. Tiré de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas historique, t. 2, pl. 155. Annexe 18 : Rencontre entre deux mondes. Ce tableau rend compte du choc culturel subi par les insulaires de l'Océanie durant les décennies séparant les premières expéditions scientifiques des entreprises de colonisation de la seconde moitié du XIXe siècle. D'un côté, l'Europe triomphante impose sa souveraineté grâce à son avance technologique écrasante. De l'autre, les sociétés océanes aux coutumes pluriséculaires sont forcées de supporter une importante acculturation à cause de leur infériorité technique. Le déséquilibre des forces en présence est visible sur cette peinture. L'air majestueux de la corvette aux sabords ouverts et aux canons apparents semble rendre futiles les lances des insulaires. Tiré de Etienne TAILLEMITE, Sur des mers inconnues, Gallimard, Paris, 1987, p. 128. Annexe 19 : Bustes d'indigènes d'Océanie moulés en plâtre "sur nature" par le médecin phrénologiste Dumoutier au cours du second commandement de Dumont d'Urville. Ces moulages ont été ensuite daggéréotypés, puis calqués afin de sauvegarder les proportions exactes des sujets étudiés pour effectuer des études comparatives entre les différentes peuplades du Grand Océan. Moulés entre 1837 et 1840, ces bustes représentent un progrès considérable pour la phrénologie par rapport aux dessins d'indigènes de l'annexe 10. La différence de moyens techniques entre les deux expéditions de d'Urville laisse percevoir l'accélération de la Révolution industrielle française durant cette période. Tirés de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, Atlas d'anthropologie, pl. 2 et 6. Annexe 20 : Extrait du livre de bord de l'Astrolabe du 10 au 21 février 1828. Il s'agit de l'extrait concernant l'arrivée à Vanikoro lors du premier voyage. A la recherche du lieu du naufrage de La Pérouse, Dumont d'Urville obtient d'un navigateur irlandais des renseignements lui permettant de se diriger vers l'île fatidique. Conformément à son habitude d'utiliser des noms indigènes pour nommer les lieux, l'île de la Recherche de d'Entrecasteaux est renommée Vanikoro selon l'usage local. Noter les informations complètes concernant la navigation et la météorologie, de même que les mesures de température de l'air et de la surface de la mer effectuées à diverses heures de la journée. Les températures relevées permettent de se rendre compte des difficultés climatiques rencontrées par les hommes de d'Urville. Si au pôle Sud la glace dans la mâture mettait un danger le navire, ici près de l'équateur la chaleur étouffante de la journée ne descend presque pas durant la nuit. Tiré de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de découvertes de l'Astrolabe 1826-1829, Ministère de la Marine, Paris, 1833, Ch. II, pp. 92-3. Annexe 21 : Tableau de la marche diurne des montres durant l'expédition de 1826-1829. Deux montres sur les quatre embarquées deviennent inutilisables. La première, en accélérant de manière désordonnée à partir du 29 août 1827, devient impropre à toute utilisation. La seconde tombe en panne à la suite d'une salve de courtoisie de vingt et un coups de canons quelques semaines plus tard..., témoignant de la fiabilité encore relative de ce moyen révolutionnaire pour faire le point de longitude en mer lors du premier voyage de Dumont d'Urville. Noter que les chronomètres proviennent des ateliers de L. Berthoud et H. Motel, deux des plus grands artisans-horlogers français de la période. Tiré de J.S.C. DUMONT D'URVILLE, Voyage de découvertes de l'Astrolabe 1826-1829, Ministère de la Marine, Paris, 1833, Ch. II, p. 159. Annexe 22 : Reproduction miniature de l'Astrolabe, ex-Coquille, navire de 380 tonneaux construit en 1811. Ce navire permet à Dumont d'Urville d'effectuer trois voyages officiels de découvertes dans le Pacifique, dont le premier en tant que second de Duperrey. Armée de quatorze caronades, haute de vingt mètres, longue de trente et portant une surface vélique de mille quarante mètres carrés, ce bâtiment est un digne représentant de l'apogée de la voile. Ce n'est qu'en 1851 que cette corvette prend sa retraite, après avoir passé quarante ans au service du développement de la science et des intérêts français dans le Pacifique. Tirée de Christian COUTURAUD, Le troisième voyage de circumnavigation de J.S.C. Dumont d'Urville 1837-1840, Thèse inédite de l'Université de Provence, Aix-en-Provence, Annexes. Annexe 23 : Plan des corvettes. Sur notre dessin, l'importance de la cale au vin est visible. D'environ soixante mètres carrés, elle est la plus grande soute à bord, plus grande même que la soute à voile. A bord de l'Astrolabe, il y a pour environ deux ans de réserve de vin, soit plus ou moins cinquante mille litres ! Contrairement à l'eau embarquée dans des tonneaux en bois ou en fer, le vin se conserve plus longtemps, d'où son usage répandu dans la marine d'explorations. La bibliothèque du commandant est également un élément primordial dans les expéditions officielles. Elle permet de rectifier les erreurs des prédécesseurs en se basant directement sur les documents publiés. Certes, en ce qui concerne les spécimens d'histoire naturelle, le travail de rectification ne peut s'effectuer qu'au retour, étant donné l'importance du nombre d'ouvrages sur le sujet dans la première moitié du siècle dernier et à fortiori l'impossibilité d'emporter tous les documents contenant les dernières découvertes. Tirée de Christian COUTURAUD, Le troisième voyage de circumnavigation de J.S.C. Dumont d'Urville 1837-1840, Thèse inédite de l'Université de Provence, Aix-en-Provence, Annexes. Bibliographie Sources Sources principales du premier commandement de Dumont d'Urville Jules Sébastien César DUMONT D'URVILLE, Voyage de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1830, 6 vol. in-8deg. de zoologie (t. 1, mammifères; t. 2 et 3, mollusques; t. 4, zoophytes; t. 5, mollusques; t. 6, mollusques, poissons et tables diverses) et 2 vol. in-folio de planches, (BPU Fb 81). Idem, Atlas hydrographique de l'Astrolabe, Tastu, Paris, 1833, in-folio, (BPU Fb 76). Idem, Voyage pittoresque autour du monde, Tenré, Paris, 1834, 2 vol. de textes et 1 vol. de dessins in-8deg., rédigé par Louis Reybaud sous la direction de Dumont d'Urville, (BPU Fb 80). Idem, Voyage autour du monde, Tenré, Paris, 1856, 2 vol. de textes et 1 vol de dessins in-8deg., éd. revue et corrigée par Louis Reybaud, (BPU V726). Idem, Voyage de découvertes de l'Astrolabe 1826-1829, éd. du Ministère de la Marine, Paris, 1833, 3 tomes en 1 vol. in-4deg., (BPU Fb 81), (sic). Sources principales du second commandement de Dumont d'Urville Jules Sébastien César DUMONT D'URVILLE, Voyage au pôle Sud et dans l'Océanie sur les corvettes l'Astrolabe et la Zélée 1837-1840, Gide, Paris, 1841-1854, 24 vol. in-8deg. et 7 atlas in-folio (historique, 10 vol. et 2 atlas; zoologie, 6 vol. et 2 atlas; botanique, 2 vol. et 1 atlas; minéralogie et géologie, 2 vol. et 1 atlas; anthropologie, 1 vol. et 1 atlas en commun avec les précédentes disciplines; physique, 1 vol.; hydrographie, 2 vol. et 1 atlas), (BPU Fb 84). Joseph SEUREAU, Journal de bord de Joseph Seureau, quartier-maître de la Zélée, 1837-1840, Publisud, Château-Gontier, 1995, éd. de Catherine Méhaud et Hélène Richard Sources secondaires Louis-Antoine DE BOUGAINVILLE, Voyage autour du monde par la frégate la Boudeuse et la flûte l'Etoile, Club des libraires, Paris, 1858, (BPU Tf 6360). Charles DE BROSSES, Histoire des navigations aux terres Australes contenant ce que l'on sait des moeurs et des productions des contrées découvertes jusqu'à ce jour, et où il est traité des moyens d'y faire de plus amples découvertes et d'y fonder un établissement, Paris, 1756, (BPU Fb 13). Joseph-Antoine D'ENTRECASTEAUX, Voyage à la recherche de La Pérouse 1791-1793, rédigé par Rossel, Imprimerie Impériale, Paris, 1808, (BPU Fb 69). Edmund FANNING, Voyage to the South Seas, William H. Vermilye, New-York, 1838, The Gregg Press, Upper Saddle River, N.J., 1970, (Biblio. d'Hist. VIII 4 Fan). 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